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les bois où elles s’épanouissent ne sont pas devenus plus mystérieux, c’est le même soleil qui les dore à son lever et à son coucher, c’est la même lune qui la nuit les argenté, et les oiseaux qui les peuplent, comme aussi tous les êtres ici-bas continuent à se gouverner par les mêmes lois, et tout témoigne de la permanence des espèces et des choses. Et non seulement les choses demeurent fidèles à elles-mêmes, mais les passions aussi de l’homme ne varient guère, elles ont du moins un fond constant qui traverse les siècles et se perpétue d’âge en âge. Il n’y a point eu d’invention nouvelle dans ce genre ; le cœur de l’homme est une lyre dont le nombre de cordes n’a ni augmenté, ni diminué : l’ambition, la haine, la jalousie, l’espérance, le désir, l’amour sont de tous les temps ; ces passions datent de l’origine du monde ; dans tous les temps elles ont été en possession d’agiter ou de ravir l’humanité, elles ont troublé ou embelli sa vie, elles ont été le mobile de ses actions ; dans tous les temps elles ont enfanté des actes héroïques et de honteuses faiblesses, et pas plus que la nature, le cœur de l’homme n’a été renouvelé depuis trois cents ans.

Et cependant, si l’univers est permanent, s’il obéit depuis le commencement aux mêmes lois, à ce branle que lui imprima la main lente et puissante d’où il est sorti, comment se fait-il que d’époque en époque il offre des aspects différens aux yeux qui le contemplent ? Et si l’homme est toujours dominé par les mêmes passions, qui sont inhérentes à son être et dont il ne cesse d’être possédé qu’à la condition de cesser de vivre, d’où vient qu’il est un spectacle sans cesse nouveau à lui-même, et que la poésie, divin miroir sur lequel il se penche pour y contempler son image fixée et comme immortalisée, la poésie elle aussi se renouvelle et varie ses tableaux ? C’est que si les lois de la nature et de la vie restent immuables, ce qui change, c’est le regard du spectateur qui les observe ; car ce que nous voyons du monde dépend de ce que nous pensons de nous-mêmes et de nos rapports avec les choses ; tel est le secret des impressions qu’elles font sur nous et la raison pour laquelle, les lois générales restant les mêmes, l’aspect qu’elles prennent aux yeux de l’humanité varie constamment. Ce que l’homme pense de lui-même, la connaissance qu’il a de soi, l’idée qu’il se fait de son rôle dans ce monde, de sa mission, de ses rapports avec son espèce et avec l’univers, voilà ce qui va en se modifiant avec le cours du temps.

Et l’histoire, qui n’est point sujette aux redites, comme l’en