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supérieur. Car s’il est un XIXe siècle qui professe le goût du médiocre et le culte des intérêts, dont les affaires ont épaissi l’esprit et qui est animé également d’une mesquine hostilité et contre les grandes idées et contre les grandes traditions, en revanche, le XIXe siècle est remarquable, si on le considère dans l’élite des esprits supérieurs qu’il a produits. Il a, pour ainsi dire, des amplexions plus vastes que ses devanciers ; il a porté dans l’histoire du passé l’esprit de critique et l’esprit de justice ; il s’est élevé au-dessus de tous les fanatismes, du fanatisme de la haine comme du fanatisme de l’enthousiasme, et il est grand encore parce qu’il aime mieux comprendre que railler, qu’il préfère une explication à une satire, et que, tout en ayant le sentiment du progrès accompli, il est respectueux pour toutes les gloires du passé, parce qu’enfin il possède ce calme, cette mesure, cet équilibre de l’esprit qui sont aussi favorables à la recherche de la vérité que les entraînemens de l’esprit de parti le sont à la conquête de l’erreur.

C’est ce XIXe siècle-là dont j’aimerais à retrouver la sagesse dans quelques-uns clos chefs-d’œuvre du roman moderne, cette sagesse qui concilie une foi fervente à l’idéal avec la tolérance pour la vie et les hommes, et avec la conviction qu’au milieu des désordres et des reculs apparens, une force divine agit sur les sociétés et les ramène nécessairement dans la voie de leurs destinées. Cet amour de la perfection uni à la foi au progrès, si nous le rencontrions dans quelques héros de roman, ce serait assurément dans un sage qui posséderait une faculté inconnue et à la belle âme et à l’égotiste ; je veux dire la faculté de s’oublier. Car, du moment qu’on aime le bien encore plus que soi-même, il devient plus facile de le découvrir hors de soi, et c’est à l’humilité seule qu’il est réservé de réconcilier l’homme avec les réalités de ce monde.

Ne pas trop attendre des hommes et cependant n’en jamais désespérer, croire fermement que le progrès s’accomplit souvent par des voies mystérieuses où nous ne pouvons atteindre ; c’est une sagesse nécessaire, surtout dans les temps de révolution, parce qu’à ces époques-là, selon les opinions qu’on professe, on est porté à tout espérer ou à tout craindre.


Victor Cherbuliez.