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philosophique ; même quand elles se sont trouvées le plus contestées, elles ont frappé par l’indépendance qui s’y découvre à l’égard des disciplines d’école ; elles ont eu le don d’ouvrir des discussions passionnées et d’obliger à réviser bien des jugemens. William James possède ce charme rare de paraître jeter sur le vieil univers un regard neuf : par l’effet de cette fraîcheur, par cette ingénuité loyale, il a donné de tout ce qu’il a regardé une image séduisante et personnelle.

Héritier des grands empiristes d’Angleterre, de Bacon et de Stuart Mill, il tient d’eux l’amour de l’expérience ; il est tout imprégné d’esprit américain et, comme beaucoup d’hommes de sa race, il unit à un sens exact des réalités un penchant au mysticisme ; il rassemble en lui les traits les plus forts et les plus délicats de la culture anglo-saxonne. Mais en même temps il est un grand ami de la culture occidentale, et en particulier de celle qui vient de France. Travaillant à une époque où la science et les méthodes allemandes exerçaient un empire qui semble décroître, il a été l’un des premiers à rompre délibérément avec elles. Il est presque irrévérencieux pour Kant, de qui peut-être il est plus proche qu’il ne pensait ; il est terrible à l’égard de Hegel, avec lequel il ne se sent rien de commun ; il est l’ennemi irréconciliable des majestueuses et obscures constructions métaphysiques. Dès ses débuts, ce sont les études françaises qui l’attirent : il commence par s’inspirer de Renouvier ; plus tard, lorsqu’il s’occupe de physiologie, c’est à l’école de M. Th. Ribot, et de Charcot, de M. Pierre Janet et de M. G. Dumas qu’il s’intéresse ; dans ces dernières années enfin, il a souvent exprimé la haute estime et la reconnaissance qu’il avait pour M. Emile Boutroux et pour M. Henri Bergson. L’Institut de France en l’accueillant, il y a quelques mois à peine, parmi ses membres associés reconnut cette parenté d’esprit. Peut-être si James avait encore vécu, aurions-nous eu un jour le plaisir de le voir paraître dans ce grand amphithéâtre de la Sorbonne, où, même après la conférence d’un homme d’Etat de son pays, on aurait aimé l’entendre exposer ce que lui a appris l’expérience.

Ses écrits nous le montrent soucieux de prendre une vision directe des choses et la racontant avec une liberté d’allure, une finesse, une franchise, qui conquièrent vite le lecteur. Sans doute on est tenté de juger qu’il n’a pas toutes les facultés des plus grands parmi nos philosophes d’aujourd’hui. Mais tel qu’il a