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toutes ses voiles, et nous n’avons eu le temps, le Salisbury, le Griffon et moi, que d’arriver pour éviter les flammes qui nous touchaient, etc.

En lisant ce rapport, dans lequel le rôle de son collègue est laissé dans l’ombre, on a l’impression très nette que Forbin n’a pas assisté à la première phase du combat, et quand on le compare à celui de du Guay-Trouin et à ceux des commandans, on reconnaît jusqu’à quel point son imagination méridionale le trompait. Du reste, la vérité ne tarda pas à être connue ; dans ses conversations, le chevalier de Tourouvre rendit pleine justice à du Guay-Trouin ; en outre, aux nouvelles qui lui arrivaient de Versailles, celui-ci avait senti s’allumer toute sa colère. Le 31 octobre, il avait envoyé à Pontchartrain un récit de la bataille ; il lui écrit de nouveau pour en préciser les détails, surtout, dit-il, dans l’intérêt de ses officiers et de ses armateurs, et il demande que toutes les prises faites pendant et après le combat soient attribuées à son escadre, et aucune à celle de Forbin, puisque celle-ci n’y a contribué en rien. Les lettres privées des officiers des deux escadres achevèrent de remettre les choses au point. On commença alors à s’étonner que le Royal Oak eût pu s’échapper, et que si peu de prises eussent été faites. Pourquoi du Guay-Trouin et Forbin n’avaient-ils pas concerté leur attaque, de façon à s’emparer et des vaisseaux de guerre et de la flotte marchande ? Au plus fort de ces critiques, les deux chefs arrivèrent à Versailles, et se rencontrèrent dans le cabinet de M. de Pontchartrain. Une scène des plus vives, dont les échos scandalisèrent alors toute la marine, eut lieu entre eux, du Guay-Trouin soutenant que, si la plus grande partie de la flotte marchande avait pu s’enfuir, c’était parce que Forbin avait perdu un temps précieux à prendre des ris inutiles ; Forbin, lui, accusant son jeune collègue de n’avoir pas voulu agir de concert avec lui, et d’avoir ainsi, par une véritable insubordination, permis la fuite du Royal Oak et des bâtimens de transport.

La querelle devait durer longtemps. Dans ses Mémoires, publiés vingt-deux ans plus tard, Forbin s’exprime ainsi :

« Je me joignis au sieur Dugué (sic), il est hors de doute que nous aurions enlevé toute cette flotte si nous avions agy de concert. Avant que de commencer le combat, je voulus luy parler ; mais vif comme il était, et beaucoup plus qu’il n’aurait