fait est établi sans conteste par un témoignage probant, à quoi bon corroborer ce témoignage par d’autres qui n’ajoutent rien au premier et n’en sont parfois qu’une reproduction ? Si vous avez un rapport d’intendant ou de préfet aux Archives nationales » serez-vous obligé de citer le brouillon qui se trouve dans tel carton départemental, uniquement pour montrer que vous avez fait des recherches en province ? Et si vous dédaignez ce procédé de trompe-l’œil, en conclura-t-on que vous n’avez rien vu en dehors de ce qui se trouve à Paris ?
La prétention de M. Aulard sur ce point est du reste contraire à sa propre méthode. Quand il écrit pour son compte, il se garde bien de vider ses cahiers de notes au bas des pages, et il a raison. Si l’on jaugeait sa documentation au nombre des cartons qu’il cite, on la trouverait encore plus pauvre que celle qu’il trouve insuffisante chez Taine. Cela prouve simplement qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre de ceux qui cèdent à l’ostentation des cotes d’archives. Rien de mieux ; mais pourquoi M. Aulard fait-il un grief à Taine de ce qu’il considère sans doute comme un mérite dans ses propres livres ? Pour quiconque n’admet ni deux poids ni deux mesures, l’impression finale que laisse l’énorme travail de contrôle effectué par M. Aulard sur les matériaux de l’œuvre de Taine n’est pas celle que M. Aulard a éprouvée lui-même. Il y a disproportion entre sa conclusion négative et ses prémisses. Taine n’a pas bâti en l’air. Ses livres n’ont pas plus vieilli que ne vieillissent en un quart de siècle les meilleurs ouvrages d’érudition.
Reste la question de méthode générale. Qu’a voulu faire Taine ? Avant tout, il a voulu ne pas faire l’histoire officielle de la Révolution, d’après les sources officielles, en expliquant les événemens intérieurs qui choquent trop visiblement la raison, la justice et les principes de 89, par la thèse commode et toujours prête du péril extérieur. Il a voulu démonter les ressorts secrets du drame révolutionnaire, il a cherché les dessous psychologiques des faits. Il a été frappé de ce phénomène que « le peuple » au nom duquel on parle, légifère et agit, est en réalité dominé et tyrannisé par une minorité, le « petit peuple » jacobin qui, sous prétexte qu’il est seul patriote, vertueux, conscient, s’arroge le droit de tout décider. D’où vient la toute-puissance