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beaucoup d’aveugles sont parvenus à l’indépendance. Mais la loi de séparation vient de porter un coup à la richesse de l’Eglise catholique. Les rétributions des organistes, en conséquence, baissent presque partout. Elles ont parfois disparu complètement. Ne sommes-nous pas en droit de demander à l’Etat de songer aux aveugles, puisqu’il vient de leur causer un pareil préjudice ?

Quelques théoriciens vont droit aux conclusions extrêmes : ils demandent qu’on cesse d’enseigner la musique aux aveugles, qu’on les dirige du côté des métiers manuels. C’est aller bien vite en besogne : les faits sont là pour prouver qu’encore aujourd’hui, la situation des musiciens aveugles est infiniment supérieure à celle de leurs congénères ouvriers, et rien n’empêche de penser qu’il n’en sera pas ainsi longtemps encore. Je crains que des passions anticléricales ne se glissent à leur insu dans les calculs de ces réformateurs, et vraiment l’anticléricalisme est ici hors de saison.

Sans parler des traitemens exceptionnels qu’on trouve dans quelques grandes cathédrales, il est encore bon nombre de places d’orgue qui produisent de 1 500 à 2 000 francs, et un très grand nombre 800 à 1000 francs. Même celles qui n’offrent aucun fixe, représentent parfois d’appréciables casuels sous forme de gratifications pour les grandes fêtes, pour les mariages et les enterremens. Et puis, dans son école, l’aveugle n’a pas appris seulement à jouer de l’orgue. Il a étudié encore le piano et un instrument d’orchestre, quelquefois le chant. Il est professeur de musique. Il cherche à enseigner dans les collèges et les pensions des environs, et à donner des leçons particulières. Il est encore accordeur, et l’accord est pour lui une autre source de profits. L’orgue est un moyen de se faire entendre et apprécier dans le pays, un moyen aussi de patienter jusqu’à ce que la clientèle se décide avenir. Désormais il rendra encore les mêmes services au jeune artiste, mais la clientèle devra se faire attendre moins longtemps, et il faudra, plus encore que par le passé, préparer l’aveugle à l’enseignement.

Les femmes musiciennes, elles aussi, ont vu leur situation devenir plus difficile. Ce n’est pas la loi de séparation qui leur a fait du tort à elles, mais la loi de 1901 sur les associations. Pour la plupart, elles se retiraient auprès de congrégations enseignantes. Elles tenaient l’harmonium à la chapelle, et