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maladresse de leurs devanciers français qui ont arrêté autrefois Louis XVI à Varennes. Le roi Manoel et sa mère sont en ce moment à Gibraltar, en territoire anglais, c’est-à-dire en parfaite sécurité.

Il faut bien le dire, la monarchie, au Portugal, a été tuée par les monarchistes. On ne saurait trop admirer la crédulité de certains journaux qui attribuent l’événement, les uns à des intrigues anglaises contre l’Allemagne, et les autres à des intrigues allemandes contre l’Angleterre. Ce sont là des contes à dormir debout. On pourrait plus justement s’étonner que la monarchie portugaise ait duré aussi longtemps dans les conditions où elle fonctionnait. « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Danemark, » disait Hamlet. Dans le royaume de Portugal ce n’était pas quelque chose, mais tout qui était pourri. La concussion, la dilapidation, la corruption gangrenaient le corps politique et administratif depuis les pieds jusqu’à la tête : aucun organe n’y échappait. C’était la caricature monstrueuse des abus qui se produisent dans d’autres pays. Tout le monde voulait manger au râtelier de l’État, et comme tout le monde ne pouvait pas y trouver place en même temps, soit parce que le râtelier était trop petit, soit parce que la voracité des occupans était trop grande, on s’était arrangé pour que chacun du moins y eût son tour. Ce système avait un nom, la rotation ou la rotativité. On inventait sans cesse des fonctions nouvelles pour satisfaire des appétits nouveaux. Quelques-unes avaient même un caractère assez bouffon, s’il est vrai, comme les journaux le racontent, qu’une dame de la Cour avait obtenu un emploi qui consistait à entretenir des chats pour exterminer les rats dans nous ne savons quels greniers publics. C’était pousser très loin le féminisme. Malgré la ténacité de ceux qui détenaient un moment le pouvoir, l’impatience de ceux qui y prétendaient était si grande que la rotation avait une extrême activité. Le roi Manoel, dans son règne si court, a eu cinq ou six ministères, dont les uns s’appelaient progressistes et les autres régénérateurs. Ne, cherchez pas ce que cela veut dire, cela ne veut rien dire du tout ; ces étiquettes ne correspondent à aucun programme qu’on puisse définir ; elles signifient seulement qu’il y avait deux équipes pour faire alternativement la même mauvaise besogne et en toucher le salaire. Les mœurs publiques exerçaient naturellement une influence fâcheuse sur les mœurs privées. Les scandales financiers se multipliaient et, à chaque fois, des hommes politiques se trouvaient compromis. Le mal avait pris de telles proportions qu’il semblait inguérissable. Cependant, le roi Carlos, qui lui-même n’avait pas été sans faiblesses, et avait eu