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Nombreux étaient, dans les cercles officiels, ceux qui pensaient comme Keyserling. Mais, en face de l’État prussien, dont l’omnipotence avait je ne sais quoi de morne, l’Eglise au contraire était remuée et comme soulevée par d’étranges courans de joie. D’indiscrètes menaces de choléra empochaient les catholiques de tenir leur congrès annuel ; mais ils n’avaient pas besoin de manifester pour se sentir forts. Louis de Gerlach, qui voyait l’historien Janssen, lui trouvait des airs de triomphateur. La confiance de Janssen avait quelque chose de conquérant : « On ne risquerait de s’assoupir, s’écriait-il, que si Bismarck s’en allait. » Et il parlait à Gerlach des communions qui augmentaient, des œuvres de charité qui se développaient ; il lui racontait que Blum, évêque de Limbourg, à son dernier passage à Francfort, avait été stupéfait des progrès du catholicisme. En voyant le peuple agir pour la foi et la foi agir dans le peuple, les évêques accumulaient dans leurs âmes les réserves d’énergie qui les aideraient bientôt soit à vaincre, soit à souffrir.


V

Au courant du mois d’août, une lettre personnelle de Pie IX parvenait au palais impérial. Pie IX y constatait que toutes les démarches du gouvernement prussien tendaient de plus en plus à la destruction du catholicisme. Il cherchait des motifs de cette politique et ne les voyait point. Le bruit courait que Sa Majesté ne l’approuvait pas, et les lettres que jadis Elle avait écrites à Rome permettaient de le croire… Mais dès lors, quels résultats pouvait-Elle attendre de ces mesures, sinon l’ébranlement du trône ? « Je parle courageusement, terminait Pie IX, car la vérité est mon bouclier ; j’accomplis jusqu’au bout un de mes devoirs qui m’oblige à dire la vérité à tous et, par conséquent, à celui-là même qui n’est pas catholique : car quiconque a été baptisé appartient en quelque mesure au Pape ; ce n’est pas ici le lieu de l’expliquer. Je suis convaincu que Votre Majesté accueillera mes remarques avec sa bienveillance habituelle et donnera des ordres appropriés. »

La lettre était courte, mais pleine : les affirmations s’y succédaient, impérieuses et drues ; Pie IX n’avait cherché ni les finesses, ni les habiletés… Bismarck la lut ligne par ligne ; il sut la commenter, la solliciter, y trouver des injures, et les