guère : en ce temps-là, comme du nôtre, et quoique le métier fût encore moins lucratif, tout bon rhétoricien se destinait « à la littérature, » et c’était l’ambition d’Arouet. Il y était d’ailleurs poussé par son parrain, l’abbé de Châteauneuf, homme du monde, l’un des derniers amans de la vieille Ninon de Lenclos et l’un aussi des familiers de la société du Temple. On sait qu’au Temple, sous la présidence de Vendôme, quelques grands seigneurs, hardis dans leurs propos, plus débraillés dans leurs mœurs, mêlés à tous les poètes libertins du temps, formaient une sorte de Parnasse satyrique. Introduit dans cette compagnie, l’élève des jésuites en prit si promptement le ton, et, en quelques mois y devint tellement gentilhomme que le payeur des épices jugea bon et urgent même de le dépayser. Il le confia pour cela, par un choix qui peut sembler bizarre, au propre frère de l’abbé de Châteauneuf, le marquis de Châteauneuf, qui s’en retournait ambassadeur de France auprès des Etats-Généraux de Hollande.
Mais l’événement tourna contre les prévisions paternelles. A la Haye, dans la maison d’une illustre aventurière, Mme du Noyer, l’auteur des Lettres historiques et galantes, un de ces pamphlets que Saint-Simon lui-même n’a pas dédaigné de consulter pour écrire ses Mémoires, Arouet fit la connaissance d’une fille de la dame, l’aima, voulut l’épouser, l’enlever même, et n’en fut empêché que par l’intervention de l’ambassadeur, qui s’empressa, naturellement, de retourner à son père un fils déjà si compromettant. Quatorze lettres d’Arouet à Olympe du Noyer sont presque les premières qui nous soient parvenues de sa volumineuse Correspondance, et il est assez plaisant que ce soit à cette bonne mère elle-même que nous devions de les avoir conservées. Arouet, désespéré, dut rentrer chez son procureur.
Cependant, en 1712, l’Académie française ayant choisi Le Vœu de Louis XIII pour sujet du concours de poésie, il avait envoyé une Ode que l’on peut lire encore aujourd’hui dans ses Œuvres, et c’était en 1714 que l’on devait décerner le prix. Sur le rapport de La Mothe-Houdard, on couronna la pièce d’un abbé Paillard-Dujarry. Arouet, blessé au vif, et, dans l’état de ses relations avec son père, atteint peut-être aussi dans d’autres intérêts que ceux de son amour-propre, répondit au jugement de l’Académie par une satire assez grossière, le Bourbier, moins riche d’esprit que d’invectives, mais qui ne laissa pas, telle