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son porte-cartes, avec une coiffure à chignon plat et à anglaises, et un fil autour du cou qui tient en suspens une grappe de perles… Le tout découpé à l’emporte-pièce sur un fond de remparts, de ponts-levis, d’arcs de triomphe ruinés, de campaniles, ressemblant très vaguement à Florence. Ce costume est un peu ostentatoire et le moins pieux des visiteurs en est presque choqué. Il ne faut pas croire que ce luxe parût naturel aux contemporains. Peu d’années après la peinture de cette fresque, alors que les couleurs en brillaient encore d’un éclat que nous ne voyons plus, Savonarole tonnait en chaire contre ces bijoux, ces boutons, ce brocart. Et cent ans avant, toute Florence avait retenti des objurgations des magistrats contre le luxe des modes féminines. Le portrait de Giovanna, en pleine église, nous montre ce qu’avaient pu faire cent ans de sermons et de lois, la crainte des peines éternelles ou celle des amendes. Il y a, là-dessus, un conte fameux de Franco Sacchetti. Il nous montre les tribulations d’un juge, Messer Amerighi da Pesaro, chargé d’assurer l’exécution des règlemens somptuaires. Il est bon de le relire devant la fresque de Santa Maria Novella :

« Mes seigneurs, dit-il, s’adressant aux Priori, mes seigneurs, j’ai étudié toute ma vie pour apprendre à juger sainement, et aujourd’hui, après avoir cru savoir quelque chose, je m’aperçois que je ne sais rien du tout. Car en faisant mon enquête sur les ornemens qui sont interdits à vos femmes, selon les ordres que vous m’avez donnés, ces dames ont produit, pour leur défense, des argumens dont je n’avais jamais eu idée auparavant et, entre autres, je vais vous en dire quelques-uns. Voici une femme qui arrive avec une cape festonnée et roulée en spirale. Mon notaire dit : « Donnez-moi votre nom, car vous avez une cape festonnée. » La bonne dame tire le bout de ce feston qui est attaché à la cape avec une épingle et, le tenant dans sa main, dit : « Ça, c’est une guirlande !… » Alors mon homme passe outre et trouve une femme qui porte de nombreux boutons sur le devant de sa robe. Il dit à celle-là : « Voilà des boutons que vous n’avez pas le droit de porter. » Elle répond : « Messer, parfaitement, j’ai le droit de les porter, car ce ne sont pas, là, des boutons, mais des coupelles, et si vous ne me croyez pas, regardez : elles n’ont pas de queue et de plus il n’y a aucune boutonnière… » Alors le notaire va à une autre qui porte des hermines et dit : « Qu’est-ce que celle-ci va bien pouvoir