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sur les jeunes générations les espoirs brisés, ayant les yeux fixés sur l’avenir de sa famille autant que sur le passé, venant pleurer à Santa Maria Novella, devant l’autel érigé pour son fils l’assassiné. Elle réapparaît au chevet de sa belle-fille en danger et préside à ses couches. Elle est partout où l’on croit sa présence nécessaire, nulle part où on la croit inutile. Elle prie et elle agit, digne en tous points que le grand homme d’État que fut Laurent de Médicis, dise d’elle à sa mort, en 1482 : « J’ai perdu non seulement ma mère, mais mon unique refuge dans mes nombreuses peines, et mon réconfort dans beaucoup de labeurs… »

Est-ce bien elle que nous voyons, ici, un peu au-dessus de Giovanna qu’épousa son neveu Lorenzo Tornabuoni, et tout près de la belle Simonetta qu’aima son fils ? Est-ce bien son apparence que Ghirlandajo a choisie pour figurer cette sainte Elisabeth à qui elle pensa si souvent quand elle écrivit la vie de saint Jean-Baptiste ? Rien ne le prouve, mais tout le fait croire. Dans cette fresque commandée par son frère le banquier Tornabuoni et peinte à la gloire des Tornabuoni, elle occupe exactement la place que lui assigne son rôle dans la grande famille. Il n’est pas un trait de sa physionomie morale qui ne se superpose exactement à ce portrait. Nous croyons donc que nous avons vu « la reine de Florence. » Et tandis que l’ombre du soir enveloppe le chœur de Santa Maria Novella, nous emportons, jointes dans notre souvenir, comme il semble bien qu’elles le soient dans cette fresque, ces trois apparitions : Simonetta Vespucci, Giovanna Tornabuoni et Lucrezia de Médicis, — c’est-à-dire l’étrangère que les Florentins virent entrer chez eux comme le symbole de la Renaissance et les deux Florentines les plus pures qu’annoncèrent jamais au monde fèves blanches en tombant dans la boîte du Baptistère…


ROBERT DE LA SIZERANNE.