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détournera Ginette de faire un coup de tête. Elle balbutiera : Sois raisonnable !… En vérité elle est peu à sa place dans ce rôle de bonne conseillère, et ses conseils manquent d’autorité.

C’est la préfète que MM. Aderer et Ephraïm ont chargée de prononcer les paroles décisives et de faire triompher les idées de sagesse et de conciliation. J’avoue qu’elle non plus, cette gaffeuse, ne nous paraît pas investie d’une grande autorité morale. Et j’ai subi, avec un certain malaise, la pluie douceâtre de ses propos bénisseurs. Ah ! que j’aurais mieux aimé une scène, — scène logique, attendue, désirée, — qui eût mis aux prises les deux sœurs ! A sa divorcée de sœur Ginette aurait crié dans un bel emportement de violence : « Fais-moi grâce de tes vains apitoiemens ! C’est toi, la sonneuse d’alarme, qui m’as éveillée de ma quiétude. Tu n’as eu de cesse que tu ne m’eusses prouvé, par mon propre exemple, le bien fondé de tes propos désolans. Tu as détruit mon bonheur, après le tien, car pour ce qui est de détruire, tu t’y entends. Tais-toi, et va-t’en. Tu es une ratée du mariage, comme il y a des ratés de la vie. Il faut les fuir comme la peste. Je reprends mon mari, d’abord parce que, l’ayant aimé, je l’aime toujours et que vivre sans l’être qu’on aime ce n’est plus vivre, et puis parce que c’est assez d’une Laure Ménars dans la famille, et que j’aurais trop peur de te ressembler. » Cette « scène des deux sœurs » ne nous aurait pas laissés indifférens. Elle aurait « porté, » comme toutes les fois qu’une scène sort des entrailles du sujet, exprime au vrai une situation et d’ailleurs évêque chez le spectateur des souvenirs ou des rapprochemens. Elle aurait achevé de peindre ce type de femme qui n’est pas la femme fatale des romantiques, ni le traître du mélodrame, ni la belle-mère de la tradition comique transposée dans un rôle de belle-sœur, mais, tout uniment et en bonne prose, l’être malfaisant dont nous connaissons tant d’exemplaires.

Je trouve pour ma part cette étude tout à fait intéressante. Elle est, dans la pièce de MM. Aderer et Ephraïm, indiquée plutôt que très poussée. Mais c’est qu’en poussant l’étude et donnant au personnage l’importance que je viens de lui prêter, les auteurs auraient détruit l’équilibre de leur pièce et en auraient changé la tonalité. Ils auraient fait une pièce âpre et sombre, et leur projet, où ils ont réussi, était d’écrire une comédie aimable.

Comme ils sont tous est très joliment joué. Mlle Piérat a fait de l’héroïne, Ginette, une de ses meilleures créations ; elle y est tour à tour gracieuse et émouvante. Mlle Dussanne s’est tirée à son honneur du rôle de Laure, difficile parce que le dessin en est un peu flou,