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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/24

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artificiel ou de plus viril ; et parce qu’elles étaient plus âpres, il n’y avait pas jusqu’à leur rudesse qui ne dût être pour Voltaire une excellente école. L’Angleterre de 1725 lui donna ce que nous appellerions aujourd’hui des « leçons de choses ; » il y perfectionna ce sens du réel et cet instinct du possible qui ne se prennent point dans les livres, encore moins dans les salons ; et sa mobilité naturelle d’esprit s’y lesta d’un peu de ce bon sens pratique sans lequel on peut dire qu’il y a sans doute encore des poètes ou des artistes, mais non pas de grands écrivains.

C’est beaucoup, et c’est assez dire. Car, en même temps qu’il observait les mœurs et qu’il en faisait son profit, si Voltaire étudiait certainement la littérature anglaise, on a d’ailleurs exagéré l’influence qu’elle exerça sur lui. Il lut Shakspeare, il le vit jouer, il l’imita plus tard, dans son Brutus, dans sa Zaïre, dans sa Sémiramis, mais il en parla toujours de la manière que l’on sait, et, beaucoup trop Français pour le goûter sans mélange, ses imitations comme ses préférences ne continuèrent pas moins d’incliner du côté de Racine. Il lut aussi Milton, mais il ne le comprit point, et d’ailleurs il ne se cacha pas de préférer au Paradis perdu l’Hudibras de Butler. Et l’on peut bien soutenir aussi qu’il emprunta plus tard aux Addison, aux Pope et aux Swift, aux Thomson même et aux Parnell quelques-uns de leurs sujets ou quelques-unes de leurs idées, à celui-ci quelque chose de son enjouement et de son urbanité, quelque chose à celui-là de la force et de l’âcreté de sa plaisanterie, mais on ne voit pas les exemples qu’il en eût pu recevoir, s’ils n’étaient eux-mêmes, après tout, que des imitateurs, assurément fort originaux, mais cependant des imitateurs de notre XVIIe siècle français. Pour que la littérature anglaise exerçât sur Voltaire l’influence que les Anglais lui attribuent volontiers, il eût fallu d’abord qu’elle fût plus originale elle-même, — j’entends la littérature du siècle de la reine Anne, — et il eût fallu que Voltaire, fût, lui, moins cultivé, d’une culture moins exclusive, et moins conforme à sa nature d’esprit.

L’influence des philosophes et des libres penseurs fut-elle beaucoup plus considérable, ou seulement plus effective ? celle de Bacon, de Locke, de Newton ? ou celle de Bolingbroke, de Collins, de Toland ? On serait tenté de le croire, et au fait, en France même, nous le croyons communément. Car Voltaire