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beauté qu’il eut à un degré si rare, cette sensibilité d’artiste qu’émeut la coloration fugitive du ciel ou de la mer, ou la pittoresque vision d’un coin de paysage, ou la noble ordonnance d’une église, d’un château, d’un vieil hôtel de ville. Les descriptions y sont charmantes, riches de couleur, vraiment évocatrices. L’historien s’y révèle aussi ; le récit est souvent coupé par le rappel des scènes émouvantes ou tragiques auxquelles ont assisté les villes ou les sites qu’il traverse, et ce sont de petits tableaux, brefs, saisissans, d’un crayon ferme et sobre. Enfin, chose rare sous une plume de vingt ans, on y sent un respect profond du passé, de la tradition, et une sorte de grave tendresse pour tout ce qui a trait aux gloires défuntes de la patrie. Telles ces lignes émues qu’il écrit, à propos d’Upsal, sur la démolition des beaux « collèges gothiques, » qui, dans le Paris du vieux temps, faisaient cortège à la Sorbonne : « O mon Paris ! Pourquoi avoir détruit ces monumens du moyen âge, ces collèges où les savans d’autrefois ont appris, lutté et enseigné ? Nous les avons vues dans les images de l’ancien Paris, ces bâtisses vénérables, groupées autour de la Sorbonne, hérissant la montagne Sainte-Geneviève de tours et de clochers bizarres. En les détruisant, Louis XIV et Louis XV ignoraient sans doute qu’ils rompaient la chaîne des temps et préparaient la voie à ceux qui ont voulu tout détruire. Les vieilles institutions s’attachent aux vieux monumens qui les ont vues naître et se développer ; détruisez ces asiles séculaires, elles s’écrouleront. Le démolisseur n’est qu’un révolutionnaire inconscient. »

Ce tour sérieux et cette maturité précoce font bon ménage avec la belle humeur et la vive gaîté du jeune âge. Le livre est plein de mots heureux, de traits piquans, de lestes anecdotes, de pointes d’une discrète ironie. Est-il amené à s’expliquer sur « la beauté proverbiale » des Suédoises : « Quant à moi, écrit-il, comme la politesse est le premier devoir du voyageur, je dirai qu’à Djurgarden, toutes les femmes m’ont paru belles ; malheureusement on se souviendra peut-être de ce conte où un jeune homme prétend avoir visité une île merveilleuse, où toutes les femmes étaient jolies : Je vous crois peu, dit un vieillard, puisque vous en êtes revenu. »

Citerai-je encore cet amusant croquis de l’Anglais en voyage : « Il escalade les pics avec conscience, conduit sa karriole avec la satisfaction du devoir accompli, et semble exercer un