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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/257

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lutte active des partis. Son humeur ne l’y portait guère, il n’avait rien d’un militant. « Moi, simple historien, assez ennemi de la politique pour n’avoir à l’observer que dans le passé et à distance, » ainsi se dépeint-il dans le discours déjà cité, et on peut l’en croire sur parole. A deux reprises seulement, il rompit ce silence, et l’effet fut d’autant plus grand que l’on sentait à quel patriotique élan il avait dû céder, pour vaincre à ce point sa nature. La première fois, ce fut à l’occasion des affaires d’Arménie, au mois de février 1897. Devant une assistance nombreuse et bigarrée, sur une estrade où siégeaient côte à côte MM. le comte de Mun, Joseph Reinach, Leroy-Beaulieu, Zadoc-Khan et bien d’autres, il flétrit en termes vibrans, d’une voix que l’indignation rendait forte, l’assassinat systématique, au milieu de l’indifférence apparente de l’Europe, de plus de 100 000 malheureux ; il montra les plaines d’Arménie changées, par la fantaisie d’un despote, « en un désert taché de sang, noyé de sang, où gisaient les débris d’un peuple, » et il marqua d’un stigmate infamant « l’homme qui, dit-il, portera dans l’histoire le nom de Sultan rouge. » La seconde fois, ce fut au lendemain de « l’Affaire, » de la maudite et détestable Affaire, dans une réunion patronnée par la Patrie française. Aucun de ceux qui l’entendirent n’oubliera le réquisitoire, sobre, courtois, mais d’une implacable rigueur, qu’il dressa contre ceux qui, la bataille finie et pour satisfaire leurs rancunes, précipitaient froidement la France dans les pires aventures. Ce modéré, devant un péril national, était parfois étrangement passionné.

Enfin, quelques années plus tard, une dernière occasion s’offrit, dans une grave circonstance, de manifester publiquement son sentiment sur les affaires du jour. Je veux parler de cette « Lettre aux évêques de France » sur les associations cultuelles, dont notre cher et grand Brunetière, soutenu par l’adhésion d’une demi-douzaine de confrères et de nombre de catholiques, prit vaillamment l’initiative, dans l’espérance d’adoucir quelque peu les suites de la Séparation, d’épargner du moins au pays des déchiremens nouveaux. Vandal n’hésita pas à s’associer à cette démarche ; il fut de ceux qu’on appela « les cardinaux verts. » L’échec de ce suprême effort lui fut une vraie tristesse. Par caractère, il était peu enclin à pratiquer la politique du pire, et sa connaissance de l’histoire ne lui avait point démontré que de l’excès du mal il fût jamais résulté aucun bien.