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Le programme de sa vie, comme c’est le cas de tous les travailleurs, était uniforme et réglé. « Vous savez que je suis maniaque, » disait-il en souriant. Rien de plus méthodique que l’emploi de son temps. Après une nuit souvent médiocre, — car il était en proie au mal de l’insomnie, — sa toilette terminée, correctement vêtu dès neuf heures du matin, il se mettait à la besogne jusqu’au coup de midi. A l’heure sonnante, il déjeunait, et il s’impatientait s’il lui fallait attendre, ayant l’estomac fort ponctuel, l’estomac « pendulaire, » selon l’expression médicale. Après un court repas, suivi de la distraction d’un cigare, il travaillait encore jusqu’à cinq heures du soir. À ce moment, confessait-il, il se sentait pris d’une espèce de « spleen, » d’une véritable dépression morale ; il éprouvait un besoin absolu, impérieux, presque maladif, de sortir de chez lui, de frôler des êtres humains, d’entendre des voix, de parler, de marcher, de voir des lumières. Avec l’âge, cette disposition s’accentua. Les premières approches de la nuit lui apportaient un indéfinissable malaise, qui ne se dissipait que par la société et la conversation d’autrui. A une amie qui lui disait combien, pour son compte personnel, elle préférait la quiétude du soir, la douceur du repos conquis à la perspective de l’effort et au troublant inconnu du matin : « Moi, je n’aime pas le soir, répondait-il avec mélancolie, il représente pour moi quelque chose qui finit, il me donne l’idée de la mort ; tandis que le matin, c’est l’espoir, c’est la vie qui s’ouvre… » Hélas ! bien peu de mois après cette confidence, il n’était plus pour lui de soir ni de matin.

À cette disposition morale se rattachait, dans une certaine mesure, ce que l’on a appelé « la mondanité » de Vandal. Il était né sociable, il avait toutes les qualités et tous les agrémens qui font qu’on brille dans les salons et qu’on est recherché dans toutes les compagnies ; mais, à son goût pour la conversation, il se mêlait comme un obscur désir de s’extérioriser, de chasser les brumes de tristesse qui, dans la solitude, s’amassaient sur son âme. C’était, au reste, un délicieux causeur, alerte, enjoué, rempli de finesse et de trait, passant avec aisance des plus minces et frivoles sujets aux problèmes les plus hauts, toujours intéressant, toujours original. De manières douces, — avec un fond de réelle énergie, — il recherchait la société des femmes. Et savait parler au besoin chiffons, chapeaux et fanfreluches, apportant à ces bagatelles un goût très sûr et très délié,