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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/26

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c’était déjà le déisme. C’est ce que Nicole savait bien quand il écrivait la phrase si souvent citée : « Il faut que vous sachiez que la grande hérésie du monde n’est plus le calvinisme ou le luthérianisme, que c’est l’athéisme, et qu’il y a toute sorte d’athées. » C’était peut-être contre ces athées dont le même : Nicole évaluait le nombre dans Paris à une cinquantaine que Pascal eût écrit cette Apologie de la religion chrétienne dont les Pensées sont les fragmens. Et c’était à eux que songeait Leibnitz quand en 1696 il formait ce souhait : « Plût à Dieu que tout le monde fût au moins déiste, c’est-à-dire bien persuadé que tout est gouverné par une souveraine sagesse ! » Faut-il en nommer quelques-uns ? Ils s’appelaient ou s’étaient appelés, au XVIIe siècle, Mesnault, Lainez, Saint-Pavin, Méré, Miton et Desbarreaux, Molière peut-être, La Fontaine, Boileau même, tous ou presque tous bourgeois, et la plupart de cette bourgeoisie parisienne éclairée qui gardait en elle-même le dépôt du voltairianisme, pour le remettre à Voltaire quand celui-ci aurait paru. Pour incliner au déisme, Voltaire n’avait donc qu’à suivre naturellement sa pente ; pour s’y encourager, il n’avait qu’à contempler dans son « janséniste de frère » un de ces fanatiques dont il n’avait pas besoin que Bolingbroke lui enseignât l’horreur ; et pour raisonner enfin son scepticisme ou son impiété, il n’avait qu’à ouvrir le livre où les libres penseurs anglais avaient eux-mêmes puisé leurs argumens : le Dictionnaire historique et critique de Bayle, ou les quatre volumes de ses Œuvres complètes.

En Angleterre en effet, comme en France et comme en Allemagne, de 1700 ou même de 1685 à 1725 ou 1730, Bayle a été le maître des esprits, de tous ceux au moins qui ne se rattachent pas à Leibnitz ou à Bossuet. Son influence, dont à peine fait-on aujourd’hui mention dans l’histoire, a été presque sans rivale sur les hommes du XVIIIe siècle. Et cela suffirait pour répondre du profit que Voltaire en a tiré, si lui-même, en plus d’un endroit, n’en avait fait le plus bel éloge, ou si, en le copiant plus d’une fois, il ne l’avait loué d’une manière plus efficace encore. C’est du Projet de Dictionnaire de Bayle que Voltaire a tiré les plus jolies pages de Jeannot et Colin ; de ce même Dictionnaire, à l’article ACYNDINUS, qu’il a tiré le conte de Cosi-Sancta ; c’est à l’idée de ce même Dictionnaire qu’il a emprunté l’idée de son Dictionnaire philosophique, ou de la Raison par