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« Entre les deux tours jaunes, un suisse tout de rouge habillé paraît, grand et gros, armé d’une hallebarde à fer rouillé, à manche pointillé de clous étincelans. Marchant à petits pas, avec une gravité tempérée de bonhomie, avec un dandinement qui prétend à la majesté, il précède la procession, qui oblique aussitôt vers notre gauche. Des servans d’église, vêtus de noir, portent la croix, au bout d’une longue tige de métal, et la bannière de l’Hôtel, rouge et bleue, où l’inévitable colombe plane entre la tour et les clefs. Ensuite, c’est un moutonnement de têtes frisées, des enfans de chœur en surplis frangé de dentelles et en soutane rouge, avec des couronnes de fleurs, avec des corbeilles d’où s’échappe en tourbillon léger un effeuillement de roses ; des frères de la doctrine chrétienne, en robe noire et rabat empesé ; et, quand un arrêt de la marche interrompt le bruit des pas, des prières psalmodiées à haute voix montent jusqu’à nous. Mais déjà le clergé s’avance, la splendeur des dalmatiques, la chasuble de l’officiant, sous le dais au quadruple bandeau de satin blanc, orné des panaches traditionnels, _et la pâle hostie se détache en blanc parmi les fulgurations de l’ostensoir[1]. »

Tel est l’art de Vandal quand il veut être descriptif. Mais ce n’est pas assez pour lui que de fixer les contours extérieurs et la couleur des choses. Il y pénètre plus avant, il en exprime la signification, il fait jaillir cette âme latente qui palpite au fond des vieilles pierres et qui anime, parfois à notre insu, les vestiges du passé. En cet hospice de Beaune, dont il nous montre les merveilles avec une érudition si exacte, ce qui le touche d’une manière plus profonde, c’est l’impression qui s’en dégage, l’impression, — rare hélas ! en France, — de la durée, de la continuité des vénérables traditions qui nous relient, en dépit des révolutions et par-dessus les âges, aux ancêtres lointains qui dorment sous la terre, l’impression, comme il dit si bien, « de l’autrefois marqué en toutes choses, non pas immobilisé en rigides attitudes et en magnificences mortes, mais intime, familier, mêlé aux actes les plus humbles et les plus simples, associé au train ordinaire des choses, fondu dans le présent et vivant avec lui, d’une vie indomptable et tranquille, qui coule lentement à travers les siècles. »

  1. La Fête-Dieu à Beaune. Revue des Deux Mondes du 1er septembre 1898.