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constamment réclamé la France… Le régime royal avait péri pour n’avoir pas su se simplifier, se débarrasser de ses parties mortes et encombrantes, se régulariser, en un mot s’organiser. Bonaparte reprit l’œuvre et y réussit. On a dit de lui souvent qu’il organisa la Révolution ; en matière d’administration, c’est le contraire qu’il faudrait dire : il organisa l’Ancien Régime[1]. »


Vainqueur de la chouannerie et rénovateur de la France, Bonaparte demeure encore discuté, guetté par de tenaces méfiances. Certaines factions relèvent la tête ; il se machine de ténébreux complots. Pour compléter Brumaire, il faudra Marengo. C’est la partie suprême, la partie décisive. Avec Vandal, on en suit toutes les phases avec une émotion haletante. La guerre est proche, inévitable, et Bonaparte s’y prépare ; mais, l’œil fixé sur la frontière, il lui faut constamment regarder derrière lui ; en poussant ses troupes sur les Alpes, il doit surveiller à Paris les mandataires peu sûrs qui le remplacent temporairement, prêts à trahir au bruit de la première défaite. « Vainqueur, nous l’adorerons ; vaincu, nous l’enterrerons, » telle est, comme l’écrivait Balzac, l’intime pensée de ses hauts associés ; et, dans les jours qui précèdent la bataille, ils délibèrent déjà sur son successeur éventuel.

La fièvre intense de ces journées d’attente, dans le fourmillement des intrigues, parmi l’angoisse patriotique des uns, les espoirs inavoués des autres, l’inquiète nervosité de tous, ce sont les pages maîtresses de la dernière partie du livre. On entend les propos et on voit les visages ; on est là, mêlé à la foule, dans la cour des Tuileries, le cœur battant, guettant les nouvelles. Et voici qu’à toute bride arrive un courrier d’Italie, puis un second, puis un troisième, tous apportant la nouvelle enivrante, tous répétant le nom magique, Marengo, « l’insigne, l’immortelle victoire ! » Alors, d’un bout à l’autre du pays, court comme une immense vague de joie. C’est une clameur universelle, c’est une éruption d’enthousiasme, qui secoue toute la France, se répercute jusqu’en ces couches profondes dont les grands chocs peuvent seuls traverser l’épaisseur. Toutes les traîtrises rentrent sous terre, toutes les ombres s’envolent, et la nation entière, soulevée d’orgueil, de gratitude et de

  1. L’Avènement de Bonaparte, tome II.