tragédies nous en donnaient d’autres, et dont nous avons mieux profité, puisqu’en effet, depuis plus de cent ans, on n’a pas vu paraître un seul drame de quelque valeur qui ne fondât son pathétique sur les mêmes moyens d’émotion.
Qu’a-t-il donc manqué aux tragédies de Voltaire pour se maintenir à la scène ? ou pour durer au moins à la lecture, car après tout, il faut le rappeler, de plus de trente pièces que Corneille lui-même a laissées, on n’en joue pas six aujourd’hui. Le style, d’abord, si l’on veut, et quoiqu’il y eût sur ce point beaucoup à dire peut-être, mais enfin dont on ne saurait nier qu’autant il est au-dessous, dans les tragédies politiques, du style de Corneille, autant l’est-il de celui de Racine, dans les tragédies d’amour, dans Zaïre ou dans Tancrède. Sans doute, on y retrouve bien quelques-unes des qualités de la prose de Voltaire : la clarté, l’aisance, l’abondance, l’agrément, le charme même. Les jolis vers y sont nombreux, dans le goût tendre et galant de Quinault. Il y a d’ailleurs de la force et de l’éclat dans Brutus, dans Mérope, dans Sémiramis ; il y a de l’éloquence dans la Mort de César, dans Alzire, dans l’Orphelin de la Chine, si du moins nous en croyons les éloges de Marmontel ; il y a de l’harmonie dans Tancrède, et, si par hasard nous ne l’y sentions pas, nous ne pourrions oublier qu’elle enchantait jadis l’oreille même de Lamartine. Mais avec tout cela, c’est le style malheureusement le moins homogène ou le plus composite, le plus conventionnel et le moins original qu’il soit possible d’imaginer. Quand les vers de Voltaire sont mauvais, on dirait de la prose qu’il s’évertuerait à embarrasser de rimes ; mais, quand ils sont passables, c’est bien pis, et on dirait de nos vers latins : L’imitation y abonde, et les réminiscences, et les « ornemens du discours, » la catachrèse et la métonymie : il a trop lu, trop retenu ; il connaît trop bien les modèles et la manière de s’en servir. Du Shakspeare et du Racine, du Corneille et du Quinault, du Boileau, du Virgile, quoi encore ? jusqu’à du Massillon, dont il met les Sermons en vers, c’est le mélange le plus artificiel ou la bigarrure la plus hétéroclite, et cependant c’est Zaïre, et c’est le style tragique de Voltaire ! On aime mieux lire Boileau dans ses Épîtres, et Quinault lui-même, au besoin, dans Armide ou dans Bellérophon.
C’est aussi qu’il a beau retoucher, corriger, revoir et gâter encore son style à force de retouches, en réalité il improvise