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drames qui aspirent à être, qui ne sont point encore, qui n’ont d’eux-mêmes qu’une conscience obscure, et qui, d’ailleurs, s’ils l’avaient plus nette, manqueraient encore du courage de leur nouveauté.

Une considération diminue toutefois la gravité de ce dernier reproche : c’est qu’à vrai dire, depuis lors, on ne voit point que le drame, le drame en vers, le drame héroïque ait rien produit qui soit si supérieur aux tragédies de Voltaire. Est-ce en effet Ruy Blas dont on dira que l’idée soit moins singulière que celle de Mahomet ? Est-ce Hernani que l’on trouve plus humain que Zaïre ? ou bien encore est-ce le moyen âge de Charles VII chez ses grands vassaux qui nous semble aujourd’hui plus vrai que celui de Tancrède et d’Adélaïde du Guesclin ? A peine même oserai-je dire que, à défaut d’intérêt dramatique, le style doive un jour sauver les mélodrames de Hugo de l’oubli dédaigneux où dorment aujourd’hui les tragédies de Voltaire. Car enfin, avec tout ce que nous y voyons aujourd’hui, c’est le style de Voltaire aussi, c’est la magie de son coloris, c’est la beauté de sa versification, que Marmontel, que La Harpe, Diderot, Geoffroy, Lemercier, Joseph de Maistre, pour ne rien dire de Lessing et de Gœthe, ont admiré plus que tout le reste. De telle sorte que c’est au mot spirituel de l’auteur des Vêpres siciliennes qu’il en faut revenir quand il disait : « Ce n’est pas bon ce que fait ce diable de Hugo, mais cela empêche de trouver bon ce que je fais. » Ainsi, les romantiques nous ont ouvert les yeux sur les défauts de ses tragédies, quoique n’ayant eux-mêmes rien mis au théâtre qui vaille beaucoup mieux, ou autant seulement. Et sans doute il n’a point, comme il s’en flattait, remplacé Corneille ni Racine, mais lui non plus, après cent ans, il faut bien convenir que nous ne l’avons pas vu remplacé.


III

C’est au contraire parce qu’on l’a remplacé, c’est depuis qu’en lisant Lamartine et Vigny nous avons appris ce que pouvait être en notre langue le poème philosophique, les Méditations ou les Destinées, que nous avons jugé à leur valeur les Discours sur l’homme ou le Poème sur la loi naturelle. Non pas peut-être que les lois ou les conditions des genres varient autant qu’on le veut bien dire, et il est certain que de mauvais vers n’ont jamais