De son côté, elle accepta tout de lui avec la meilleure grâce du monde. Quand elle arriva, jeune mariée, au palais Médicis, elle trouva une petite fille, vive et intelligente, nommée Bia, qui courait dans tous les coins du palais. « C’est ma fille, » lui dit son mari. Elle l’adopta et l’éleva comme si ç’avait été son propre enfant. Elle adopta aussi les goûts de son mari. Le duc Cosme était un antiquaire, un savant, curieux de tous les procédés d’art ; il se cachait à la fenêtre pratiquée au-dessus de la porte du Palais Vieux, pour entendre ce que la foule disait des statues nouvellement exposées. Pareillement, la duchesse se passionna pour les belles choses de plastique, prit parti pour Cellini contre Bandinelli, et lorsqu’un artiste avait produit une œuvre de son goût, elle défendait qu’on la mît hors du palais et de sa vue. Ainsi, s’il faut en croire les mémoires et l’histoire écrite, elle semble avoir joui de la vie.
Mais tout, dans ses deux portraits et dans ses gestes, nous montre une vie sans joie et l’indifférence de la voir s’échapper d’elle. Elle se sait malade, un poumon engorgé, crachant le sang, suffoquant : elle refuse obstinément tous les soins. On a retrouvé la lettre où le duc Cosme raconte sa mort. Le malheur est arrivé au cours d’un voyage qu’il faisait avec sa femme et ses fils, dans les Maremmes pestilentielles, pour visiter de nouvelles forteresses. Il faut la lire devant ce portrait : jamais traits de caractère ne se sont mieux superposés à des traits de visage. Il écrit à son fils aîné Francesco, alors en Espagne. Il vient de lui raconter la mort soudaine de ses deux frères, Don Giovanni et Don Garzia pris par les fièvres. Et il ajoute : « Mais comment pourrai-je finir cette lettre, ayant encore à narrer des choses plus douloureuses d’une part et plus joyeuses d’autre part ! Je dis joyeuses pour celui qui, détaché des choses mondaines, regarde seulement le ciel et non la terre, ses misères et ses vanités. Avec l’aide de Dieu, il faut que je continue. La duchesse, à cause de la nouvelle inattendue de la maladie du cardinal (son fils), s’affligea beaucoup et fut souffrante en ces quelques jours ; et venue à Pise, l’ayant bien consolée, sa fièvre quotidienne commença à la tourmenter davantage et elle commença à perdre l’appétit : pourtant elle se maintenait. À ce moment apparut la nouvelle maladie à don Gartia (son autre fils) et sa fièvre augmenta et elle perdit de plus en plus l’appétit et ne voulut pas se laisser soigner par les médecins, comme tu sais qu’elle