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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/399

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pour en exclure Duprez. Sontag et Malibran se détestaient. Pontmartin conte certaine soirée triomphale, chez Mme de la Bouillerie, où se rencontrèrent Lamartine, Berryer, Bonald, Victor Hugo, Martignac, Gérard, Gros, Paër, Charles Nodier, Alexandre Soumet, d’Arlincourt, Ancelot, Cherubini, Mlle Delphine Gay, etc. Bordogni, Zuchelli, Santini, ouvrirent le concert, Mlle Moke, la future Mme Pleyel, vint ensuite, enfin Malibran et Sontag. « Celle-ci offrait le type le plus parfait de la beauté germanique, telle que nous la rêvons d’après les poètes, sans la retrouver dans la réalité. Ce qui la rendait incomparable dans le rôle terrible de donna Anna, c’est qu’elle opposait, à la fougue sensuelle de la passion espagnole, tout ce que la poésie du Nord a de plus éthéré et de plus chaste. Svelte sans maigreur, l’élégance de sa taille s’accordait admirablement avec la régularité de ses traits et l’expression de sa physionomie, avec ses cheveux d’un blond cendré qui pouvaient allumer beaucoup de feu sous leur cendre, avec la nuance rose-thé de son teint, la blancheur marmoréenne de son front, la douceur un peu triste de ses yeux, couleur de pervenche, et l’arc délié de ses lèvres qui semblaient tantôt sourire à l’invisible, tantôt parler à l’inconnu… »

Rossini se mit au piano, les deux étoiles chantèrent, d’abord l’une après l’autre. « Elles se surpassent, disait-on tout bas ; on croirait qu’elles se défient ; jamais, jamais on n’entendra rien de pareil. » Et quand vint le grand duo de Sémiramis et d’Arsace, ce fut une véritable extase. « Comment peut-on se haïr quand on s’accorde si bien ? » murmurait Ancelot. A la fin du duo, Rossini se leva, tout ému : « Oh ! c’est trop beau, dit-il, j’étouffe ; mesdames, on s’embrasse ! » Puis, donnant l’accolade aux deux rivales, il les poussa l’une vers l’autre ; mais, au lieu d’accepter l’invitation, chacune fait un mouvement en arrière, l’effet est manqué. Pour dissiper le malaise, Rodolphe Appony s’élance vers le piano, attaque la valse de Freyschutz, Antonin de Noailles et le fils aîné de la maison s’emparent des cantatrices, la gaîté rejoint l’enthousiasme par-delà Je mur de glace élevé soudain. Pontmartin invite Desdemona, qui dansait médiocrement, et le remarqua elle-même, ajoutant : « C’est que, Dieu merci, je n’ai rien de germanique. » Elle accompagna son mot d’épigrammes assez vertes sur Sontag qui allait épouser le comte Rossi ; l’épithète de rossinante ne fut pas oubliée, paraît-il. Le lendemain matin, Pontmartin, stupéfait, retrouvait