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prend un drapeau et leur crie : « Mes frères, il faut me tuer ou me suivre. » Germanicus passant pour un prince romanesque, les dames polonaises lui sont généralement favorables. La palatine de Balz, qui ne rêvait que de lui, dit un jour à un grand dignitaire du royaume, partisan du prince de Saxe : « Sachez-le bien, je défendrai le parti français le sabre à la main. » Elle saisit celui d’un de ses fidèles, oblige le « grand enseigne » à dégainer, et lui assène d’abord un si grand coup qu’elle le désarme. » Emerveillés du courage de la noble dame, les spectateurs lui attribuent la victoire dans ce singulier duel.

La journée du 31 juillet[1]fut la plus terrible pour notre négociateur. Il se vit contraint d’avouer à ceux qui le harcelaient de questions, qu’il n’avait plus aucun courrier de France, que les lettres avaient dû être surprises en route. En l’écoutant, les seigneurs polonais ouvrirent de grands yeux, et commencèrent à se repentir d’avoir suivi ses conseils. « Nos amis sont en fureur, écrivait Châteauneuf le 4 août. Tout le monde accuse notre prince d’indifférence… Attendre son arrivée jusqu’à la fin de la scission, c’est attendre que le feu soit éteint, pour y porter de l’eau. » — « Il faut trois millions, déclare carrément Polignac, brûlant cette fois ses vaisseaux dans une lettre au Roi, trois millions pour gagner l’armée lithuanienne. » «… Mes ennemis ne me donneroient aucune inquiétude si j’avois de l’argent ; mais mes amis me mettent au désespoir parce que je n’en ai pas. » L’ambassadeur dut envoyer l’échanson de la couronne à l’armée de Pologne, avec ordre d’enrôler les soldats au service du prince de Conti, en leur promettant, au petit bonheur, le paiement de leur solde arriérée.

« Voilà bien du temps perdu, écrit Polignac à la fin de juillet, et l’Électeur de Saxe n’en perd pas… Il est venu sur la frontière avec des troupes, et il est entré dans le royaume dès que son parti l’est allé chercher. » Et le 11 août[2], dans une lettre au Roi : « Les amis du roi élu sont tout déconcertés par le retard de son arrivée. C’est M. de la Rozière qui devait porteries nouvelles de l’élection. Etaient-elles bien parvenues ? »

Les Polonais se décident alors à dépêcher à Versailles un

  1. L’abbé de Châteauneuf au magistrat de Dantzig, 31 juillet 1697. A. E.
  2. A. E. Pologne, vol. 96, f° 36.