Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles Ritter professait pour l’auteur des Lundis : tout au plus faisait-il des réserves, en les mettant d’ailleurs au compte de son « calvinisme, » sur l’inspiration du Clou d’or ; mais il demeurait constamment fidèle à la mémoire du critique, rappelant à Scherer tel article de lui-même oublié sur le Port-Royal et obtenant qu’il fût inséré dans un prochain recueil, préparant des conférences sur l’écrivain mort depuis quinze ans, relisant jusqu’au bout son œuvre : il y avait telles pages de Sainte-Beuve sur Mme de Charrière qu’il « ne pouvait guère relire sans larmes. » Ce sont là de ces hommages comme les écrivains les plus avides de gloire n’en sauraient souhaiter de plus beaux.

Mais de tous les écrivains avec lesquels Charles Ritter est entré en relation, je crois bien que celui qu’il a le plus complètement aimé et admiré, c’est Ernest Renan. Il l’avait suivi d’œuvre en œuvre avec une ferveur croissante. Les Études d’histoire religieuse n’avaient pas peu contribué à le détacher de ses croyances dogmatiques ; la Vie de Jésus avait été pour lui, comme pour tant d’autres esprits de cette génération, un événement capital. Il adressa à Renan ses premières traductions de Strauss ; grâce à Sainte-Beuve, des rapports s’établirent régulièrement entre eux à propos du volume de Mélanges de Strauss que Charles Ritter devait traduire et Renan préfacer. « Croiriez-vous, écrivait ce dernier, que tel est le fossé qui sépare la France de l’Allemagne, qu’à l’heure qu’il est, je n’ai pas encore été en relation personnelle avec lui (Strauss) ; c’est pourtant, je crois, l’homme de ce siècle pour lequel j’ai le plus d’admiration et de sympathie. » Strauss, de son côté, avait des sentimens analogues pour Renan. M. Schuré, qui lui avait rendu visite, écrivait à Charles Ritter : « Nous avons parlé de Renan : il en parlait avec admiration, je dirais presque avec respect. Il m’a dit : « Renan a compris et dépeint le sentiment religieux de Jésus avec une merveilleuse intuition. » Et là-dessus, Charles Ritter imaginait toute une suite de relations entre les deux écrivains : « J’aime à penser, écrivait-il à Renan, qu’à propos de cette publication faite sous votre patronage, des rapports directs s’établiront entre vous et lui. J’aimerais surtout que vous pussiez le voir, le connaître personnellement, lui parler et l’entendre… Que de fines et belles discussions on se plaît à rêver dans une telle entrevue ! » Et Renan lui répondait : « J’ai toujours vivement regretté de n’avoir pas de rapports avec M. Strauss…