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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/461

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humble serviteur pour ce qui est doux, simple et idyllique. »

Esprit souple et curieux, Charles Ritter ne s’était point confiné, comme tant d’autres, dans l’étude et l’admiration exclusives des écrivains de sa propre génération. Il suivait avec attention le mouvement philosophique et littéraire en Allemagne et en France, en Suisse et en Angleterre. « Vos écrits, cher maître, écrivait-il en 1879 à Renan, ceux de l’école anglaise actuelle, ceux de Schopenhauer et de Hartmann, ceux du grand théologien zurichois (Biedermann), toutes ces influences ont trop agi sur moi pour que je sois aujourd’hui le disciple docile de Strauss, que j’étais il y a quelques années. » Il semble que Schopenhauer, en particulier, ait exercé une assez forte action sur sa pensée. Un peu plus tard, on le voit s’intéresser, sans grande illusion d’ailleurs, aux généreuses initiatives de M. Paul Desjardins. Et vers la fin de sa vie, il se décide à entrer en relation avec M. Paul Bourget : à ce propos même, on peut regretter qu’il n’y soit pas entré plus tôt, et que la publication du Disciple, par exemple, n’ait point provoqué entre l’écrivain et son lecteur un échange de lettres que nous aurions été heureux de posséder. Ce fut la lecture de l’Étape qui, « à un âge où de telles lettres n’ont plus la grâce et l’excuse de la jeunesse, » ; détermina Charles Ritter à écrire à M. Bourget. Il veut « lui payer un tribut de reconnaissance pour tout ce qu’il lui doit depuis vingt ans de vives lumières sur une foule de sujets, et de profondes, de bienfaisantes impressions morales. »


… Cette haute estime est devenue une véritable prédilection, depuis que votre talent toujours plus fort, votre âme mûrie et rassérénée vous ont dicté ces œuvres accomplies qui s’appellent les Voyageuses, les Recommencemens, les Drames de famille, et surtout le magnifique roman que vous venez d’achever. Il me semble que l’art ne peut aller plus loin, l’art qui puise ses inspirations aux plus hautes sources du cœur et de la vie morale. Non pas que je sois converti aux doctrines que vous proposez… Le mélancolique agnosticisme de vos jeunes années, cher poète, me paraissait, me parait encore plus près de la triste et inflexible vérité que le dogmatisme de vos œuvres récentes. Mais ce dogmatisme est si évidemment sincère, et de plus si éloquent, qu’il impose le respect. Et quand il aboutit à des créations telles que le professeur Monneron et votre délicieuse Brigitte, ce respect devient de l’admiration, et les objections font place à des larmes involontaires.


La réponse de M. Bourget n’est pas moins intéressante :


L’Étape ne vaut que par la naïveté (si vous me permettez ce mot dans le sens où le prennent les peintres) avec laquelle elle a été écrite. C’est ma