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guerre, il l’avait prévue, presque souhaitée[1] ; il ne l’a pas condamnée quoiqu’elle l’ait surpris, car il était un des plus ardens à comprendre « qu’en France, affaiblir le point d’honneur, ce n’est pas seulement abaisser les âmes, mais ébranler le dernier fondement de la société et de l’Etat[2]. » Les Américains, en présence même de son cadavre, ont démenti la légende de sa désespérance : « Nous regrettons d’avoir à constater, à la honte du journalisme américain, que la nouvelle du triste événement est à peine parvenue ici qu’elle a servi de base à des insinuations insultantes pour le caractère de M. Prévost-Paradol. Nous pouvons affirmer, et cela sur la meilleure autorité, — celle de M. Prévost-Paradol lui-même, — que, si profondément qu’il regrettât la grande guerre déclarée si soudainement, il avait une foi énergique et entière dans la justice de la cause pour laquelle son pays a tiré l’épée. Qu’il eût tort ou raison de penser ainsi, là n’est pas la question, mais on doit à sa mémoire de ne pas dénaturer son opinion[3]. » Renan a dit : « Sa mort n’eut aucune signification politique ni morale ; ce fut un accident matériel, amené par les grandes chaleurs de Washington et par la surprise du régime américain des liqueurs glacées[4]. »


V

Il était facile de présenter des lois exigées par un intérêt évident et assurées de l’assentiment unanime. Le difficile était d’arrêter le déchaînement des passions révolutionnaires et de maintenir l’esprit public en un état qui, sans cesser d’être animé, ne devînt pas surexcité. Ces passions subversives s’étalaient sans vergogne dans les journaux de l’opposition. Chaque jour, ils gémissaient sur les horreurs de la guerre, en voilaient les grandeurs, en dépeignaient les misères, discréditaient notre cause, la calomniaient, en niaient le caractère national. « Qu’il soit donc bien entendu, écrivait Louis Blanc, que cette guerre à laquelle nous pousse le chauvinisme d’esprits sincères, trompés par le chauvinisme de cœurs servi les, est une guerre entreprise, d’une part, pour rendre le despotisme plus fort contre la

  1. France nouvelle. Appendice.
  2. La France nouvelle, p. 263.
  3. World de New-York.
  4. Renan, Feuilles détachées, p. 145.