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en éloquence Mgr Dupanloup : « Mon pied en touchant le sol de la patrie l’a trouvé frémissant. Je l’avoue, je ne puis demeurer insensible au cri d’honneur blessé, aux motifs d’indépendance inquiète et d’injustices longtemps ressenties qui ont enfin contraint la France à mettre l’épée à la main. En s’opposant à ces procédés audacieux et malfaisans qu’elle a trop longtemps tolérés, la France défend tout à la fois ses intérêts, le droit public, la paix commune. Mais, certes, je puis encore bien moins être insensible aux nobles sentimens qui, en ce moment, s’emparent des âmes, entraînent et soulèvent la nation tout entière. J’assiste avec plaisir à la transformation de la race des jeunes gens inutiles et à l’apaisement momentané des impiétés déclamatoires. La guerre a fait passer sur nos têtes à tous un souffle religieux… Conduits par d’admirables chefs, les soldats partent au milieu des cris d’enthousiasme, des adieux fraternels, des vœux patriotiques. Toute la terre française est ébranlée par un effort gigantesque, et l’on sent dans l’air un courant indescriptible, solennel et entraînant, grave et joyeux, martial et confiant, terrible et doux, esprit vraiment français qui voile les horreurs de la mort par les beautés du sacrifice, transforme les victimes en héros et fait de la nation tout entière l’armée de réserve et l’armée de combat. Faites triompher la justice, ô mon Dieu, par les mains de la France[1] ! »

On se montrait patriote, même dans le monde des affaires, où toute guerre est une perturbation, un désastre. En Allemagne, la panique et la débâcle financières étaient complètes. A la Bourse de Berlin, les spéculateurs avaient établi un cours de compensation, c’est-à-dire avaient fait une banqueroute partielle à leurs débiteurs ; il en était de même à Francfort ; le taux de l’intérêt de ces deux villes montait déjà à 8 et 9 pour 100. On signalait des faillites à Leipzig et autres centres commerciaux. La Bourse même de Londres, si ferme, était atteinte. A Paris, au contraire, le marché montrait une solidité extraordinaire ; on avait fait sans trouble la liquidation du 15 juillet ; pas un agent de change, pas un courtier de quelque crédit n’avait manqué à ses

  1. Cela n’a pas empêché le même Mgr Dupanloup de dire, dans la séance du 22 juillet 1871 : « Le cours rapide du temps nous ramène précisément, en ce mois, à ces jours de lamentables souvenirs, où un ministre — que, de loin, il me permette de le lui redire — où un ministre, le cœur trop léger, serviteur d’un maître à trop légère conscience aussi, au même moment et d’une même main a provoqué l’Allemagne et abandonné Rome. »