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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/588

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l’ordre social qui n’ait été combattue par elles ? Est-ce que, en 1884, ici même, dans un des plus beaux discours qu’il ait prononcés, l’un des plus magistraux dont ait retenti la tribune française, l’honorable M. Waldeck-Rousseau, ministre de l’Intérieur, ne s’éleva pas contre l’attitude des Chambres de commerce qui, à l’unanimité, étaient hostiles au projet de loi sur les syndicats professionnels ?


Ainsi parlait M. Barthou, le 5 juin 1908, à la tribune du Sénat. Les moyens nous manquent pour vérifier si les Chambres de commerce étaient, à l’unanimité, hostiles à la loi de 1884 ; il est probable que cette assertion est exagérée. Mais quand un grand nombre de Chambres de commerce, mettons même l’unanimité, eût fait des objections sur l’abrogation par cette loi de l’article 416 du Code pénal et également sur les lacunes de l’article 5 de la loi de 1884 concernant les Unions de syndicats, elles auraient fait preuve de clairvoyance : cela ne peut être aujourd’hui contesté, puisque le gouvernement actuel considère comme d’une suprême importance de combler ces lacunes.

Que dans la discussion de la loi de 1884, M. Waldeck-Rousseau ait prononcé, suivant le panégyrique de M. Barthou, « l’un des plus beaux discours, l’un des plus magistraux dont ait retenti la tribune française, » cela est possible ; mais ce virtuose de la parole était, à un rare degré, privé du don de prévoyance ; il l’a implicitement reconnu lui-même, dans les éloquentes lamentations qu’il fît au Sénat à la fin de sa vie sur l’usage que son successeur faisait de la loi sur les congrégations, dont il était lui-même l’auteur. Il ne montra pas plus de discernement à propos des syndicats et, s’il eût eu une vie plus prolongée, il se serait également et aussi fortement frappé la poitrine au sujet de ce qu’était devenu l’enfant dont il avait, avec tant de légèreté et si peu de précautions, déterminé les conditions d’existence.

La circulaire ministérielle du 25 août 1884 relative aux syndicats professionnels[1] qu’il envoya aux préfets est certainement un des documens qui attestent le plus l’illusion et l’imprévoyance des gouvernans modernes. Elle est empreinte d’un lyrisme effréné en faveur des syndicats : « Le gouvernement et les Chambres, dit M. Waldeck-Rousseau, ne se sont pas laissé effrayer par le péril hypothétique d’une fédération

  1. Cette circulaire est reproduite intégralement en tête de tous les Annuaires successifs des Syndicats professionnels.