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maison du Châtelet, et en même temps surveiller de plus près l’impression de l’Anti-Machiavel du prince, qui se faisait à La Haye, chez le libraire van Duren, il apprenait que son Frédéric était devenu roi. Et il recevait, à la vérité, l’ordre un peu tardif de s’opposer par tous les moyens qu’il pourrait inventer à la publication du livre, mais aussi, par compensation, il était prié de se rendre prochainement à Clèves pour s’y offrir en personne aux complimens de Sa Majesté Prussienne.


II

La rencontre eut lieu au château de Moyland, près de Clèves, dans l’automne de 1740, et, chose étonnante, elle ne rabattit rien de l’admiration du poète ni du roi l’un pour l’autre. Ce fut même celui-ci qui, pour exprimer la sienne, trouva le mot ou le cri le plus éloquent : « J’ai vu ce Voltaire que j’étais si curieux de connaître, écrivait-il à Jordan, l’un de ses confidens littéraires ; la du Châtelet est bien heureuse de l’avoir ! » Et pour le malheur, comme pour le désespoir de « la du Châtelet, » on ne se sépara point que le poète n’eût promis d’aller, dans l’année même, continuer à Berlin les entretiens commencés à Clèves. De graves événemens, en précipitant l’exécution de sa promesse, devaient donner à ce voyage une signification toute particulière, et, en réveillant chez Voltaire des ambitions mal éteintes, le rejeter dans les agitations de la vie du monde et des cours.

On s’est beaucoup et agréablement moqué de ces ambitions diplomatiques ou politiques de Voltaire, et sans doute, puisqu’elles n’ont abouti, comme nous l’allons voir, qu’à la confusion de ce maître railleur, il serait difficile de les prendre au sérieux. Oserons-nous dire pourtant qu’elles ne paraissaient alors déplaire à personne ? N’était-ce pas en effet notre ministre des Affaires étrangères lui-même, Amelot, qui moins de quinze jours après l’avènement du nouveau roi de Prusse, et avant l’entrevue de Moyland, recommandait à notre ambassadeur, dans le cas où Voltaire se rendrait à Berlin, « que l’on ne manquât point à le prévenir de quelques attentions, pour acquérir ainsi le droit de se servir de lui ? » Mieux encore que cela : n’était-ce