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du docteur Akakia parut ainsi dans les derniers jours de l’année 1752.

Frédéric se fâcha pour tout de bon cette fois, et ce qu’il n’eût considéré que comme une plaisante pantalonnade, si Voltaire l’eût faite à Versailles, lui parut à Berlin presque un crime de lèse-majesté. La brochure, saisie chez l’imprimeur, fut brûlée en grand appareil de la main du bourreau, sans autre forme de procès, et Voltaire dut signer le plus humiliant désaveu, suivi de promesses plus humiliantes encore. Même on dit qu’il craignit un moment que Spandau, par exemple, ne lui devînt une Bastille en Prusse. Aussi, dès qu’il fut rassuré, n’eut-il plus d’autre préoccupation que de fuir au plus vite un ami si brutal, et renvoyant à, Frédéric sa croix du Mérite et sa clef de chambellan, n’osant pas toutefois lui dire ses véritables desseins, il lui fit demander un « congé » pour aller prendre les eaux de Plombières. Le roi, cruellement facétieux, répondit qu’il y avait à Glatz, en Silésie, des eaux qui valaient pour le moins celles de Plombières ; mais, comme Voltaire insistait, il finit par céder, et lui permettre de quitter son service. La rupture était consommée. Le 23 mars 1753, à Potsdam, à la parade, Voltaire prenait publiquement congé de Frédéric pour ne plus le revoir. Il se dirigeait vers la frontière, à petites journées, s’arrêtant sur sa route à Leipzig, pour y décocher un dernier trait à l’adresse de Maupertuis ; à Gotha, où il ébauchait ses Annales de l’Empire à Cassel, à Wabern, très désireux de revoir la France, mais très incertain de l’accueil qu’il y recevrait, et, si par hasard on n’y voulait pas de lui, très hésitant sur le choix d’un séjour.

Une dernière aventure, celle de Francfort, son carrosse arrêté aux portes d’une ville impériale par un résident du roi de Prusse, lui-même et sa nièce gardés à vue dans une chambre de l’auberge du Bouc, traités en criminels, leurs bagages éventrés, séquestrés et finalement quelque peu pillés pour y retrouver les « poésies » du roi, tous ces pénibles incidens lui apprirent du moins que l’Allemagne avait cessé d’être sûre pour lui. C’est pourquoi, au mois de septembre de la même année 1753, il repassait le Rhin, et venait attendre à Strasbourg le résultat des démarches que ses amis faisaient à Versailles pour qu’il lui fût permis de rentrer à Paris.

Quand il n’aurait dû aux trois années qu’il venait de passer