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manifesta toujours une vive sympathie pour le pays auquel avaient appartenu ses ancêtres, et Venise, qu’il regardait comme le berceau de sa famille, — plusieurs des ambassadeurs vénitiens à Constantinople s’appelaient Alecsandri, et naguère encore un palais portant ce nom s’élevait dans la vieille cité des doges, — l’attira de tout temps. Il semble d’ailleurs qu’il ait eu en lui quelque chose du tempérament et du tour d’esprit italiens : une grande finesse, un sens politique aiguisé, un cœur prompt à l’enthousiasme, enfin un léger penchant au farniente et un peu de « cette paresse orientale dans l’habitude de la vie, » dont parle Mme de Staël, lorsqu’elle analyse le caractère des Italiens[1].

Placé de bonne heure dans un pensionnat de Iassi, que dirigeait M. Victor Cuenin, un Français qui, après la campagne de 1812, était venu s’établir en Moldavie, Alecsandri y eut, entre autres condisciples, Michel Cogalniceano, l’un des hommes d’Etat et des historiens les plus remarquables qu’ait produits la Roumanie, ainsi que l’acteur Millo, qui, appartenant à une excellente famille de vieux boyards moldaves, avait été poussé vers le théâtre par une vocation irrésistible et devait interpréter un jour sur la scène roumaine, avec un succès considérable, les principaux personnages comiques du théâtre d’Alecsandri.

L’enfant s’y perfectionna dans l’étude de la langue française, et, tout en apprenant les règles de la grammaire et les élémens de la syntaxe, s’y prit de passion pour Daniel de Foë et son Robinson Crusoé, dont il avait entendu raconter par un camarade de classe les aventures extraordinaires. Dès lors s’éveilla en lui le goût des voyages lointains ; l’île de Robinson occupait constamment sa pensée, et cette vision hanta toujours si fort son esprit que l’un de ses plus sincères regrets, jusque dans les dernières années de sa vie, fut de n’avoir pu visiter l’Amérique, où l’avait entraîné et si souvent promené son imagination d’enfant et de jeune homme.

En 1834, Alecsandri quitta la pension de M. Cuenin, et partit pour Paris en compagnie de plusieurs autres jeunes Moldaves, parmi lesquels se trouvait Alexandre Couza, celui-là même qui devait, vingt-cinq ans plus tard, réaliser l’union des Principautés en montant sur le double trône de Moldavie et de Valachie.

  1. Corinne, VI, 3.