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des événemens historiques, des légendes nationales, des exploits de princes, de guerriers, et même de brigands fameux, car le brigandage, dans ces temps lointains, n’était pas considéré comme un déshonneur ; on le tolérait, on l’encourageait presque, surtout lorsque les brigands (qu’on appelait alors des haiduques) tenaient la campagne contre le boyard avide et rapace qui pressurait le peuple, ou contre l’étranger qui dévastait le sol de la patrie. Dans d’autres ballades, on voit se manifester l’amour que le Roumain porte à la nature : aux forêts, dans lesquelles il fait paître ses troupeaux ; au soleil, qui féconde de ses rayons la terre qu’il laboure ; à l’étoile qui, la nuit, guide sa marche solitaire à travers les vastes plaines où il chemine ; aux fleurs, dont il aime à orner sa cabane et qui lui servent à lui-même de parure ; enfin, aux bêtes, qui sont les compagnes de sa vie nomade et pastorale. L’une des plus célèbres parmi ces ballades, Mioritza (la petite brebis), avait fait une profonde impression sur Michelet, qui la regardait « comme une chose sainte et touchante à fendre le cœur. — Rien de plus naïf, dit-il, et rien de plus grand… »

Les Doïnas ont un caractère de nationalité et comme un goût de terroir plus prononcés que les Ballades. Ce sont en général des chants d’amour, dont presque tous commencent par une invocation à un arbre ou à une plante : « feuille verte de chêne, » ou « d’érable, » ou « de marjolaine, » selon le sujet ou le ton de la doïna. « Il en est, — dit un écrivain français très compétent en matière de littérature étrangère, Xavier Marmier, — qui sont comme de gracieux médaillons dont les riantes couleurs reposent les regards au milieu d’une longue série de tableaux de batailles. Il en est qui sont comme de tendres chansons écloses dans un jeune cœur par un heureux jour de printemps[1]… »

Quant aux koras ou airs de danse, ce nom s’applique aussi bien à la musique accompagnant la danse qu’aux vers récités ou improvisés par les danseurs ; il y a en Roumanie presque autant d’airs de horas qu’il y a de villages. Chaque bourgade, chaque hameau, chaque troupe de laoutars, a les siens. « Le peuple roumain exprime tout par la danse, écrit Carmen Sylva dans son article Bucarest, des Capitales du monde[2] ; les hommes

  1. Du Danube au Caucase, p. 160.
  2. Chez Hachette.