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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/659

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représentations alternaient avec celles qu’y donnèrent des artistes amateurs roumains, dont le répertoire se composa d’abord de l’Hécube, d’Euripide, et de l’Avare, de Molière.

D’autres sociétés particulières tentèrent, avec des fortunes diverses, de répandre le goût de l’art dramatique en Valachie ; mais elles eurent à lutter contre toute sorte de difficultés d’ordre matériel, politique et financier, et elles n’attiraient d’ailleurs qu’un public très spécial et très restreint. Le théâtre valaque ne devait prendre réellement son essor que sous les auspices de la Société philharmonique, fondée en 1834 par Héliade et Campineano, et dont l’un des premiers actes fut la création d’un théâtre national à Bucarest.

En Moldavie, un Conservatoire national avait été institué en 1837, et parmi les premiers directeurs de cet établissement, on voit figurer le père d’Alecsandri. Bientôt, une nouvelle direction, composée d’Alecsandri lui-même, de Cogalniceano et de Negruzzi, transforma cette école en théâtre, et c’est ainsi qu’Alecsandri fut amené à traduire, pour la scène moldave, quelques pièces, la plupart françaises, auxquelles le public fit bon accueil. Encouragé par ces premiers succès, il se décida bientôt à écrire des œuvres originales, qu’il composa, — c’est lui-même qui nous l’apprend, — avec la préoccupation constante de fustiger les ridicules et de flageller les vices de ses compatriotes. Alecsandri avait, en matière d’art dramatique, des idées contestables peut-être, mais très personnelles et très arrêtées. Il était un partisan convaincu de la célèbre maxime du poète latin moderne Santeul : Castigat ridendo mores, et il pensait que dans un pays qui sortait à peine d’une longue léthargie, qui avait vécu pendant plus d’un siècle dans une atmosphère morale destructive de tout ressort et de toute énergie, où il n’y avait encore ni opinion, ni libertés publiques, où la presse était bâillonnée, où le moindre écart de langage et de plume entraînait l’emprisonnement ou l’exil, le meilleur moyen d’assainir les mœurs et de retremper les caractères était de transformer le théâtre en tribune, et de livrer à la risée publique les travers et les vices d’une société qui s’effondrait de toutes parts. La tâche était d’autant plus malaisée qu’il s’agissait, à un point de vue plus spécial, de réformer la langue théâtrale, lourde, prétentieuse, désagréable à l’oreille ; il fallait aussi faire l’éducation des acteurs, — encore très inexpérimentés, — et celle du public,