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différence et de l’inégalité radicale des races, c’est l’orgueil national non éclairé par l’historien ; ce qui dissipe, un peu au moins, les préjugés de l’orgueil national et ce qui réintègre plus ou moins, mais un peu, l’idée de la quasi-égalité des races, c’est précisément le commerce avec l’histoire. Nous sommes profondément persuadés que nous sommes d’une essence supérieure à celle de nos voisins, parce que différence nous fait l’effet de supériorité et que nous nous sentons différens de nos voisins. Mais si l’histoire nous apprend, et il me semble que c’est un de ses offices, que les plus nobles races se sont étiolées et dégradées, que des races longtemps inférieures se sont relevées, qu’il y a un temps pour les Romains et un temps pour les « Barbares » et un temps pour les Aryens et un pour les Arabes et un pour les blancs et un pour les jaunes, le préjugé des races reçoit un coup, dont je souhaite qu’il meure ; mais dont, à coup sûr, il est, du moins, affaibli. Ce sont les peuples sans historiens qui ont le préjugé des races et les peuples élevés par les historiens qui ne l’ont… qui l’ont un peu moins.

Je sais bien qu’il existe une histoire, — une nation voisine de l’Allemagne ne peut guère l’ignorer, — qui se donne pour mission d’entretenir le préjugé de la race, de le fortifier, de le nourrir, de le désaltérer et de l’enivrer. Mais faites attention : ici ce n’est pas l’histoire qui intoxique l’esprit public, c’est l’esprit public qui intoxique l’histoire ; et ce n’est pas la faute de l’histoire si le peuple s’éloigne de l’esprit benthamique ; c’est la faute du peuple si l’histoire s’en éloigne ; et ici M. Dicey ne doit pas ranger l’histoire et les historiens dans l’ordre des causes, mais dans l’ordre des effets. L’histoire chauvine n’est illibérale que parce qu’elle est illibéralisée ; mais l’histoire vraie, l’histoire historique, l’histoire qui ne s’inspire que de l’histoire est persuadée au moins qu’il est impossible de voir de très grandes différences entre les races ; et persuadée de cela, sinon elle a pour effet, du moins elle se donne pour devoir d’en persuader les autres. A ce point de vue encore, l’histoire n’est pas anti-benthamique per se.

Enfin, — ce troisième point de vue n’est pas très différent du second, — l’histoire exalte le nationalisme. C’est mon avis et pour mon compte je ne songe qu’à l’en féliciter. Seulement, je fais remarquer, comme je l’ai fait remarquer toute ma vie, qu’elle n’est qu’une des vingt choses qui exaltent le patriotisme.