vois très bien l’histoire servante élément de dissolution du libéralisme ; mais je ne vois pas trop l’histoire maîtresse, et j’entends surtout par-là l’histoire maîtresse d’elle-même, convaincue de battre en ruine les idées elles doctrines libérales.
D’autres influences, — et j’en passe que signale M. Dicey, — ont contribué à décréditer le libéralisme ou à émousser sa force de pénétration dans les esprits. Songez à ceci qui peut-être n’a l’air de rien, ou à quoi l’on n’est point naturellement porté à songer. Il fut un temps où l’éducation publique n’existait pas en Angleterre. Or, comme le remarque très bien Leslie Stephen, « à raison même de la défectuosité ou plutôt de la non-existence de l’éducation nationale, il n’y a aucune période dans l’histoire d’Angleterre où un plus grand nombre d’individus pauvres et partis de bas ait réussi à se distinguer. » C’est Burns fils de paysan, Thomas Paine fils d’un petit industriel, William Cobbett fils d’un paysan, W. Giffbrd fils d’un petit industriel, Dalton fils d’un tisserand, Porson fils d’un petit employé de province, White fils d’un tisserand de village, Robert Owen et Lancaster fils d’ouvriers et ouvriers eux-mêmes. C’est le temps des autodidactes. On comprend assez que l’absence d’éducation constituée et régulière stimule les individus bien doués et les force à donner tous leurs efforts, comme la multiplicité des collèges, bienfait pour la moyenne, évidemment, empêche les bien doués de se développer eux-mêmes, ce qui est la méthode forte ; et l’on comprend qu’une société où se trouvent tant d’individualités énergiques, tant d’homme faits par eux-mêmes, soit très pénétrée d’individualisme, comme celle où tout le monde est élevé sans efforts doit avoir du goût pour la protection et la tutelle.
Ajoutez à tout cela les causes économiques qui sont probablement les plus puissantes de toutes les causes. La grande industrie, simple résultat de la facilité des communications, d’une part, et du machinisme, de l’autre, change dans des proportions énormes la mentalité même d’une nation. On voit très facilement pourquoi. Une industrie, en cessant d’être individuelle ou quasi individuelle, ne devient pas seulement collective, comme on le croit ; elle devient semi-sociale. Entre un petit patron coutelier, son ouvrier et son apprenti, l’État n’intervient pas, parce qu’il n’y a aucune raison pour qu’il intervienne. Entre un patron et ses trois mille ouvriers, l’État ne peut pas