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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/691

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chèrement par lui-même que bien et économiquement par un étranger, je lui répondrais que c’est du sentiment et que cela est du domaine de la romance. Une patrie, c’est un grand magasin, et le patriotisme consiste à être du plus grand magasin, parce que le plus grand magasin est le plus économique. Le patriotisme français consiste, non pas à vouloir reconquérir les pays français que la France a perdus, mais à désirer être conquis par l’Allemagne, parce que l’Allemagne est plus forte que la France. Et quand cela sera fait, le patriotisme anglais consistera à désirer d’être conquis par l’empire d’Allemagne ; et quand la Grande-Bretagne aura été conquise par l’empire d’Allemagne la Grande-Bretagne, si elle s’insurgeait, commettrait le crime de sécession et d’anti-patriotisme ; et du reste elle serait stupide. Ainsi raisonne l’impérialisme, et l’on voit clairement le grand progrès qu’il constitue sur le benthamisme.

Il est possible, du reste, qu’il ait raison. Il est possible que, désormais, aux grands empires seuls il soit permis, et non ridicule, d’avoir du patriotisme. Comprenez-vous le patriotisme d’un peuple qui ne peut rester peuple qu’à la condition d’être client d’une grande puissance ou neutralisé sous la protection des grandes puissances ? Ne vaudrait-il pas mieux, pour autant, qu’il s’annexât à une grande puissance et qu’il en fût une province intéressante ?

Cela est possible. Aussi bien, et je l’ai fait remarquer depuis longtemps, bien avant la sécession de la Norvège d’avec la Suède, il y a un double mouvement : les peuples forts sont de plus en plus patriotes sous forme d’impérialisme ; les peuples faibles voient naître en eux des patriotismes particularistes, par quoi ils se subdivisent de manière à devenir plus faibles. L’Allemagne veut absorber tout ce qui parle allemand et sept ou huit régions de plus ; la Russie veut l’Empire panslaviste ; l’Angleterre veut absorber tout ce qui parle anglais et huit ou dix peuples de plus ; l’Amérique du Nord veut absorber toutes les Amériques ; — à l’inverse, la Belgique se sépare de la Hollande et tend à se subdiviser encore ; la Hongrie ne rêve que d’être faible, mais chez elle, en se séparant de l’Autriche ; la Norvège ne respire que d’être nulle, mais at home, en se séparant de la Suède. Et ainsi, les patriotismes particularistes préparent proies plus faciles aux patriotismes impérialistes à l’affût.

Et il arrive tout naturellement, par contemplation des faits