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abandonnée, aurait quelque droit à se plaindre de la vie, mais qui, quoique fille de son père, a horreur des jérémiades. Voilà les personnages sympathiques : des braves gens et des braves.

M. Capus emploie volontiers ce procédé de l’antithèse qu’apparemment, ni Molière, ni même Victor Hugo n’ont épuisé. Dans les Deux hommes, il oppose deux manières de courir après le succès et de le manquer, l’une consistant à ne pas l’atteindre et l’autre à le dépasser. Voici un doux amateur, Marcel Delonge. Il vit petitement des petites rentes que lui ont laissées ses parens. Il pourra mener ainsi, jusqu’au bout, une paisible et charmante existence de dilettante, à condition qu’il ne cherche pas à en sortir. Mais un beau jour cette idée lui entre dans la cervelle, de faire quelque chose, lui aussi, de s’adapter à son temps qui n’est plus celui de l’oisiveté aimable, mais celui du labeur hardi, de se lancer dans une entreprise. Il y lance quarante mille francs. Huit jours plus tard, les quarante mille francs se sont évanouis ; il n’en reste plus rien ; ils ont disparu comme par enchantement. Car il est de cette catégorie de gens qui manquent à la fois de préparation et de dispositions ; pour eux chaque opération se solde par une perte et chaque initiative aboutit à un désastre : leur seule ressource est de se tenir tranquilles. Paul Champlin est un autre type d’adapté. C’est par les vilains côtés qu’il ressemble à ses contemporains. Il entre d’emblée dans la société des spéculateurs et des jouisseurs. Il y fera quelque jour une banqueroute ou une fortune également scandaleuse. Car c’est déjà très difficile et très rare de réussir. Mais en réussissant demeurer honnête homme, c’est tout à fait du grand art.

On retrouve la plupart de ces idées ou de ces indications dans la nouvelle pièce de M. Capus : l’Aventurier. Le type qu’il y étudie et qu’il nous présente cette fois dans toute son ampleur est celui du joueur converti, dont il nous avait déjà présenté plusieurs ébauches. Dans les Deux Écoles, un certain Brévannes, disparu de la circulation parisienne après de grosses pertes et avec un sérieux passif, reparaît, un beau jour, ayant fait fortune aux colonies, et paie ses dettes. C’est un coup de théâtre qui porte toujours, l’étonnement d’un créancier qui recouvre certaines créances et rentre dans l’argent de certains débiteurs marquant assurément le plus haut degré auquel l’homme puisse atteindre dans l’échelle des étonnemens. Le héros de la Châtelaine, Jossan, a de même eu les commencemens les moins édifians. Vous me direz que cette préparation à la vie active et laborieuse n’est ni la meilleure, ni surtout la plus sûre, et je