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les faits à sa manière, c’est-à-dire d’un point de vue peu favorable à Gramont ; puis il arriva à Paris le 21 juillet.

Il vint aussitôt me voir. Le dénigrement de tout ce qu’il ne faisait pas lui-même était une des habitudes constantes de son esprit. Cavour notait comme trait digne de remarque que, dans une certaine circonstance, « le prince n’avait pas tout critiqué. » Cette disposition était devenue très âpre depuis le plébiscite. Ne tenant nul compte du service que nous lui avions rendu en introduisant son droit à succéder dans la Constitution, il ne nous pardonnait pas d’y avoir maintenu la régence de l’Impératrice. Il était donc naturel qu’il blâmât la guerre d’autant plus qu’elle dérangeait ses divertissemens, et qu’elle contrariait son parti pris de laisser faire librement à la Prusse comme au Piémont tout ce qui leur conviendrait. Il se déchaîna contre notre politique qu’il appelait une politique de sous-officiers. J’essayai de lui montrer la réalité qu’il ignorait ; il ne se calma point. Il m’écoutait à peine. Je finis alors par me fâcher à mon tour et lui dis que notre « politique de sous-officiers » n’était que la politique de l’honneur, et que je m’étonnais qu’un Napoléon ne le comprît pas… « D’ailleurs, à quoi bon ces récriminations ? si vous aviez voulu agir sur nos résolutions, vous auriez dû revenir à notre premier avertissement et ne point vous attarder jusqu’à ce que les actes décisifs fussent accomplis. » Le prince demeura de méchante humeur. Thiers, qui n’avait pas réussi à voir l’Empereur, essaya de causer avec lui. Il écrivit à son amie la princesse Julie Bonaparte de lui ménager chez elle et en sa présence une conversation avec son cousin. Le prince avait encore moins de raisons que l’Empereur de refuser cette avance, mais il ne comprit pas lui non plus l’intérêt qu’il y avait à l’accueillir et il la repoussa brutalement : « Qu’il vienne chez moi ! C’est un intrigant. » La princesse Julie, en termes adoucis, transmit cette rebuffade à Thiers et brûla devant lui la lettre par laquelle il lui avait exprimé son désir de rencontre.

Pendant la paix, exclusivement civil, le prince demeurait étranger à l’armée, n’y exerçait aucun emploi, ne se montrait jamais dans les casernes ou dans les manœuvres, et lorsque des hostilités allaient éclater quelque part, il revêtait un uniforme, se transformait en général, réclamait un commandement. Et il était admis qu’on le lui devait. Il en résultait pour l’Empereur de sérieux embarras. En cette circonstance, avant tout