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à la main, sur le point d’où il peut le mieux embrasser l’ensemble du théâtre de la lutte (le Landgrafenberg à Iéna, le cimetière à Eylau, la grande redoute à Borodino, le plateau de Posthenen à Friedland, etc.). Ses maréchaux savent où le trouver. Derrière lui se tiennent les aides de camp et les officiers d’ordonnance, et quatre escadrons de la garde, un de chaque subdivision d’arme. Parfois il met pied à terre et appuie sa longue-vue sur l’épaule d’un des pages qui l’accompagnent. Il combattait des yeux et, quand il le fallait, de sa personne. A Iéna, au plus fort de la mêlée, il voit ses ailes menacées par la cavalerie, il s’y porte au galop, ordonnant des manœuvres et des changemens de front ; à Wagram, il court conférer avec Masséna devant Aderklaa ; le matin de Lutzen, il entend une canonnade du côté de Leipsick, il y court ; à Kaya, il mène lui-même ses jeunes soldats à la charge sous un feu meurtrier ; pendant la campagne de France, plus d’une fois il lui est arrivé de descendre de cheval pour pointer les pièces.

Cet homme surnaturel n’échappe point pourtant à la loi commune. Chaque fois que ses forces physiques, aussi extraordinaires que son génie, fléchirent, cela se marqua aussitôt dans ses opérations. Gouvion Saint-Cyr attribue à l’épuisement causé par des fatigues excessives les indécisions de 1813 ; d’après le général de Ségur, si, après la bataille de Dresde, un mal d’entrailles subit ne l’avait arrêté à un quart d’heure de Pirna, le brave Vandamme n’était pas défait à Chulm, la coalition était désorganisée. De l’aveu unanime, la souffrance qu’il éprouvait à se tenir à cheval en 1815 n’a pas été sans quelque influence sur les à-coups qui firent échouer dans le détail une de ses plus puissantes conceptions.


V

Sous le régime des armées à la Xerxès, du système rétrograde et barbare de la nation armée, le général en chef devra posséder les mêmes qualités de résolution, d’imperturbabilité et par conséquent de santé qu’autrefois. Son activité devra être même plus intense, mais elle s’exercera autrement, par l’esprit plus que par le corps. Il ne se mêlera plus aux troupes et ne se mettra en contact avec elles que par des proclamations ou des ordres du jour. Trouvera-t-il utile de se rendre compte de la