premier aide major général. Le Bœuf, las d’un rôle plus bureaucratique que militant, impatient d’aller au feu, se prêta volontiers à cet arrangement.
Quant aux inconvéniens d’un changement de ministre que, dans notre incompétence, nous n’apercevions pas, il eût été possible, sinon de les conjurer tout à fait, du moins de les amoindrir sensiblement par le choix du nouveau titulaire. L’Empereur en chargea le maréchal lui-même par le billet suivant : « Mettez tous vos soins à chercher qui pourrait le mieux vous remplacer. A mon avis, ce serait M. Thiers. » À ces mots : « ce serait M. Thiers, » le maréchal n’en crut pas ses yeux. L’indication lui parut si bizarre, tellement en dehors des possibilités politiques, qu’il n’y vit qu’une rêverie de l’Empereur et ne s’y arrêta pas. Il l’eût comprise et ne s’en fût pas étonné, s’il avait connu la démarche de la duchesse de Mouchy. L’Empereur s’en était souvenu et, après réflexion, il s’était décidé à accueillir l’ouverture qu’il avait d’abord repoussée. Qu’aurait répondu Thiers à cet appel de l’Empereur ? Le Bœuf n’alla pas le lui demander ; il tint la suggestion comme non avenue, et arrêta son choix sur le général Dejean, conseiller d’Etat, directeur du génie au ministère de la Guerre, homme loyal, sérieux, dévoué à ses devoirs, militaire éprouvé, et qui, étant déjà mêlé à la préparation, serait, nous dit Le Bœuf, en mesure, mieux que tout autre, de la continuer selon les erremens adoptés. Quoique ne connaissant pas le général Dejean, en vertu de l’accord établi entre nous, nous l’acceptâmes comme nous avions accepté le maréchal qu’alors nous ne connaissions pas non plus.
Les fonctions spéciales du major général ne sont pas définies par une loi et ne sauraient l’être. Ce sont les rapports personnels, les capacités, les sympathies qui décident de tout. Frédéric et même Napoléon étaient, à proprement parler, leurs propres chefs d’état-major. Et pourtant, celui-là regretta Winterfeld et celui-ci Berthier. Vis-à-vis du chef, le major général joue le rôle de conseiller, d’ami, de confident. Vis-à-vis de l’armée, celui d’organisateur, de directeur d’un état-major composé d’élémens disparates. Le Bœuf, dans notre espérance, devait, sous le couvert de l’Empereur, être le véritable directeur des opérations. Nous comptions sur lui pour leur imprimer une allure rapide, audacieuse, suppléer aux défaillances rhumatismales de l’Empereur, si elles se produisaient, et triompher des