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couvercle de sa cellule. Pendant qu’il va chercher une pelote de mortier pour continuer, perçons le couvercle. À son retour, l’insecte répare les dégâts. Il est et reste occupé du couvercle. Mais si l’accident a rapport à un ordre de choses qui remonte plus haut et qui a trait à une œuvre finie, dont l’insecte n’a plus à s’occuper, l’animal ne saurait, pour le réparer, remonter son courant psychique. Il ne peut laisser l’actuel pour revenir sur le passé, sur un travail plus urgent que celui dont il est occupé.

Il reste néanmoins que si on veut préciser le cadre complet en dehors duquel le discernement ne peut faire agir l’insecte, les limites de ce cadre paraissent assez difficiles à apercevoir. Pour M. Fabre elles sont absolument rigoureuses ; l’insecte ne peut innover en dehors. Sa doctrine, et nous la retrouverons ailleurs, consiste à croire à une variation limitée. Supposons qu’un homme doive aller d’un lieu à un autre par une route déterminée. Il peut en suivre le milieu ou bien les bords : voilà le discernement.

Tous les caractères par lesquels nous avons défini l’instinct sont donc susceptibles de variations au sens indiqué. Alors, un doute nous vient. Il y a là une difficulté très grande à une séparation radicale entre la bête et l’homme. Car notre intelligence aussi a ses cadres et ses limites ; ce sont ses catégories, ses formes logiques ; de sorte que ce qui nous paraît, de ce point de vue, distinguer surtout la raison humaine de celle de la bête, c’est que, dans l’homme, l’étendue du discernement est immense, tandis qu’elle est très faible chez l’insecte : chez l’un domine le conscient ; chez l’autre l’inconscient. Il est remarquable et inexpliqué toutefois que cet inconscient coïncide parfois avec quelques-uns des actes qui demandent le plus d’efforts à la conscience humaine, comme les paralyseurs le démontrent.

L’homme et l’animal sont peut-être vers les deux extrémités d’un courant dédoublé dont une des branches va vers la conscience pure, et l’autre vers l’inconscience pure ; avec mélange partiel encore des deux parties.

VI

Mais définir l’intellect de la bête, ne suffit pas pour faire connaître toute sa mentalité, il y a aussi en elle des sentimens et des sensations. Pour déterminer tout à fait les rapports qui