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Si les propriétaires ont dû recourir à de pareils moyens, ce n’est pas seulement en raison des attaques de plus en plus violentes auxquelles ils se voyaient exposés, c’est aussi parce qu’ils ont reconnu parfaitement insuffisante la protection que leur offraient la loi et l’autorité chargée de l’appliquer. Faute d’avoir voulu reconnaître la véritable nature des conflits agraires, le gouvernement italien s’est trouvé impuissant à les régler, et à en arrêter le développement. L’office du travail du ministère de l’Agriculture signalait pour l’année 1909, sur un total de 1 092 grèves, 140 grèves agricoles, dont le plus grand nombre avaient éclaté dans les deux ou trois mêmes provinces, les plus riches et les mieux cultivées du royaume ; et M. Luzzatti constatait à regret, dans son discours du 4 juin 1910, qu’aucun pays d’Europe ne souffrait autant que l’Italie de la maladie des grèves rurales. On sait quelles furent successivement les deux attitudes qu’adopta le gouvernement italien vis-à-vis des organisations et des agitations syndicalistes. Il y eut une première période de répression vigoureuse : intervention constante de l’autorité dans les conflits, dissolution des ligues et des Chambres du Travail, poursuites judiciaires, tribunaux exceptionnels, le ministère Pelloux ne recula devant aucun moyen. Ce régime sévère eut pour résultat de gagner aux organisations persécutées les sympathies de la bourgeoisie démocrate et libérale. Le cabinet Zanardelli-Giolitti, qui s’appuyait sur l’extrême gauche, inaugura en 1900 une politique plus indulgente : on laissa les syndicats se développer librement ; le parti socialiste se livra dans tout le pays à une propagande fiévreuse, dont on put reconnaître les fruits dans la grève générale de septembre 1904 et dans la grève des chemins de fer de 1905. Le gouvernement résolut alors de canaliser le mouvement qu’il ne pouvait plus réprimer sans courir de gros risques politiques : et ce fut le régime des alliances, des faveurs et des privilèges. Les organisations ouvrières de Romagne en profitèrent largement ; elles firent attribuer à leurs coopératives, outre des subventions en argent, la concession de travaux importans : le gouvernement consentait à tout, pour avoir la paix. Il eût pu exiger que les travaux adjugés aux coopératives fussent exécutés durant les périodes de chômage, et dans les saisons où l’agriculture ne réclame pas d’ouvriers. La tactique des syndicats, que l’autorité administrative ne se souciait point de contrarier, consistait au contraire à