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conservatrice, comme chargée de conduire, au nom de l’humanité, le grand combat pour la pensée libre. Bismarck, à son tour, se laissait entraîner par ces chants de guerre : il en amendait un peu les paroles, introduisait çà et là le nom de Dieu, qui s’y trouvait comme dépaysé ; mais d’être le stratège d’une belle lutte spirituelle, cela finissait par caresser son orgueil. « Ce sera la tâche de notre État et de notre peuple, lisait-on dans l’un des organes du chancelier, de frayer la route au rayon de lumière de la vie intellectuelle moderne. »

Cette idée, chez Bismarck, prenait tout de suite une forme politique et réclamait certaines sanctions diplomatiques. Au nom des victoires d’hier et d’avant-hier, il prétendait faire régner sur les autres nations les maximes qui poussaient et guidaient l’Allemagne dans les batailles d’aujourd’hui ; il aspirait, suivant les expressions assez maniérées de la Gazette de l’Allemagne du Nord, à transformer en « lien de parenté spirituelle entre les peuples les chaînes que la hiérarchie voulait faire peser sur le monde. » L’idée du Culturkampf gouvernait ainsi la politique extérieure, comme la politique intérieure. L’Allemagne avait une ennemie, Rome. Malheur aux catholiques de l’Empire s’ils ne se comportaient pas en bons sujets ; malheur aux autres peuples, s’ils ne se comportaient pas en bons parens.


I

« Les élections au Reichstag, lisait-on dans une brochure propagée par le Centre, doivent prendre le caractère d’un grand plébiscite du peuple catholique pour sa foi et pour son Eglise, d’une protestation violente contre le système actuel de politique ecclésiastique. Nous pouvons devenir une minorité avec laquelle tout gouvernement devra compter. » Inversement, avec l’ascendant d’une feuille officielle, la Correspondance provinciale affirmait : « Ce qui domine les élections, c’est le conflit entre l’esprit national allemand et les aspirations ultramontaines hostiles à l’Empire. Ici les Guelfes, là les Gibelins. »

Mais la Correspondance ajoutait que, si la majorité anti-ultramontaine renfermait des élémens hostiles aux projets militaires du gouvernement, ce serait un grand péril. Bismarck voulait un Parlement qui d’une part, bon gré malgré, domptât les évêques, et qui, d’autre part, lui accordât sans délai, pour un temps