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l’opposition catholique ; ce qu’il savait, lui, et ce qu’il ajoutait, c’est que cette victoire lancerait inévitablement la France dans une guerre contre l’Allemagne ; car l’Empire ne voulait pas se laisser prévenir, et l’on n’attendrait pas que la France eût achevé les préparatifs. Le chancelier, ce jour-là, ne jouait pas à la colore ; il était calme, nuancé même, mais d’autant plus imposant ; rarement Gontaut avait trouvé chez lui une aussi courtoise sérénité. « Je ne vois là du reste, continuait Bismarck, qu’un premier avertissement qui peut être utile pour les deux. » À titre de conclusion, il insinuait que le gouvernement de Paris devait châtier les évêques par un appel comme d’abus, ou bien que lui, Bismarck, au nom de Guillaume, pourrait peut-être les poursuivre devant les tribunaux français pour offense contre un souverain étranger. Gontaut discuta, montra les inconvéniens des deux procédés, et surtout du retentissement qu’ils auraient, essaya d’établir que l’action politique des évêques était restreinte. Bismarck le nia ; et la conversation s’égara sur la visite de Ledochowski à Versailles en novembre 1870, sur les manèges qu’avait alors concertés le chancelier pour faire agir en faveur de la paix les prélats français. Bismarck avait échoué, et ne leur avait pas encore pardonné. Gontaut, fort habilement, tira de ce souvenir même un argument : puisque en 1870 les évêques de France, malgré les désirs de Pie IX, n’avaient pas osé parler pour la paix, cela prouvait que l’infaillibilité ne les astreignait pas à cette subordination absolue dont tout à l’heure se plaignait le chancelier. « Vous n’êtes pas aussi bon catholique que je pensais, » répliqua Bismarck en souriant ; et il se piqua d’avoir fait récemment beaucoup de théologie. Il protesta du reste, très longuement, qu’il n’avait pas envie d’une guerre ; mais, revenant à ses conclusions, il redemandait un châtiment, tout au moins contre l’évêque Plantier, de Nîmes. Au début de l’entretien, il avait visé plusieurs évêques ; à la fin, Plantier seul était désigné ; et des esquisses de sommations réclamaient contre lui des gestes de rigueur.

Mais des gestes, c’était trop déjà : le duc Decazes ne pouvait ni ne voulait les faire sur un ordre étranger. La majorité parlementaire représentait, tout à fois, les aspirations de la France au relèvement et les susceptibilités religieuses du pays ; elle n’aurait pas admis que l’évêque Plantier fût déféré au Conseil d’État. Hors de la majorité même, des patriotes passionnés