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« Ils expriment le dégoût et le mépris, déclara-t-il. Ne croyez pas que je demeure étranger à de pareils sentimens ; mais je suis trop poli pour les exprimer. » La Gauche dénonçait le comte Ballestrem : C’est lui qui a sifflé ! Mais Windthorst, maître de lui-même, raidissant sa petite taille sous l’avalanche des outrages, demanda ce que valaient ces propos de Kullmann, qu’on entendait aujourd’hui pour la première fois, ces propos dont aucune mention n’avait été faite au procès. Il avait reçu aussi, lui Windthorst, des lettres de menaces ; en avait-il jamais demandé compte à ses adversaires politiques ? Au risque de gêner le président Forckenbeck, il soulignait l’audace étrange avec laquelle toute une fraction parlementaire était rendue solidaire d’un assassin.

Dans l’impérieux réquisitoire qu’avait subi le Centre, une inculpation manquait encore ; elle lui fut assénée par Lasker ; il accusa ce parti de pousser l’Europe à la guerre en faisant croire que Bismarck lui-même y poussait, et fut l’objet d’un rappel à l’ordre, lorsqu’il prétendit stigmatiser In crime du Centre contre la patrie. Certaines audaces de parole étaient devenues licites pour un Bismarck, mais seulement pour lui : à l’abri de cette licence, qu’il se fût arrogée si on ne la lui eût accordée, la haine du chancelier contre la fraction du Centre, contre cette fraction à laquelle malgré lui une partie de l’Allemagne obéissait, et qui se mêlait maintenant de ce qu’il faisait en Europe, avait ce jour-là, dans le maniement de l’insulte, dépassé les plus superbes rêves d’insolence.

Les vingt-quatre heures qui suivirent le calmèrent, mais ne le changèrent point. Il avait besoin de heurter, d’offenser, de rompre. L’idée de traiter avec Rome n’avait jamais, jusque-là, complètement déserté sa pensée ; en septembre, encore, négociant avec le Quirinal un voyage de Guillaume en Italie, il avait nettement déclaré que, par égard pour ses 14 millions de sujets catholiques dont Pie IX détrôné était le chef spirituel, l’entrevue de Guillaume avec Victor-Emmanuel ne pouvait avoir lieu à Rome. Et voici que le 5 décembre, moins de trois mois après cette marque de tact, dont le ministre Minghetti n’avait pas laissé d’être dépité, Bismarck, déférant enfin au vœu plusieurs fois exprimé par les nationaux-libéraux, rayait du budget allemand les crédits de l’ambassade près le Saint-Siège. Cette ambassade était inoccupée depuis deux ans et demi ; mais par le fait même