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exigences ? Le gouvernement se doute bien du péril, tout en le faisant naître. Il pose encore, dans son exposé des motifs, un autre principe infiniment plus contestable que le premier, à savoir que l’État, après avoir fait un contrat avec une société concessionnaire, reste maître d’en modifier les termes dans un intérêt supérieur. S’il en est ainsi, à quoi bon discuter et traiter par avance ? À quoi bon rédiger des cahiers des charges ? Sans doute, l’État a le droit d’exiger que, dans l’exploitation d’une concession, certaines règles soient observées, celles de l’hygiène, par exemple. Mais a-t-il celui d’intervenir pour modifier les salaires et les retraites ? Il l’a fait l’année dernière, et les Compagnies ont répondu en s’adressant aux tribunaux compétens. C’est à eux, en effet, qu’il appartient de se prononcer sur des questions qu’un exposé des motifs peut poser, mais non pas résoudre. S’il en était autrement, on irait vite à un autre sabotage, à celui des principes de droit qui régissent les contrats. Au surplus, dans la question actuellement en cause, l’État ne peut pas complètement échapper pour son propre compte aux suites de ses imprudences, puisqu’il est lié aux Compagnies de chemin de fer par la garantie d’intérêts. Si on pourvoit aux charges nouvelles par une augmentation des tarifs, le commerce national sera atteint ; si on y pourvoit par la garantie d’intérêt, tout le monde le sera.

Les questions soulevées par les projets ministériels sont si nombreuses que c’est à peine si nous pouvons les effleurer aujourd’hui. Un temps précieux a été perdu. Immédiatement après la grève et sous le coup d’impressions pessimistes qu’il ne s’était assurément pas appliqué à diminuer, le gouvernement aurait pu faire voter rapidement la loi nécessaire, celle qui aurait interdit l’usage de la grève aux cheminots, ou, plus généralement encore, à tous les employés de l’État. Ce point une fois fixé, le reste serait venu. Le tort a été de mêler plusieurs questions et de les faire dépendre les unes des autres : la discussion en sera interminable et sujette à bien des hasards. Mais enfin, quelle sera la sanction à l’interdiction de la grève ? Le gouvernement en a trouvé une et la plus efficace de toutes, la révocation en quelque sorte automatique et le remplacement immédiat du cheminot qui aura déserté son poste et mis en péril le fonctionnement d’un service public qui ne saurait chômer. C’est fort bien, mais pourquoi n’appliquer cette sanction qu’après la sentence arbitrale au cheminot qui ne s’y soumettra pas ? Est-ce que la marche des trains n’est pas aussi nécessaire avant qu’après ? Est-ce qu’on doit faire ici des distinctions de momens ? Et, si on se place à un point de vue