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incomplète et déformée de la justice comme du Barreau. Pour le public, la Cour d’assises domine tout, absorbe tout ; et, de même, à ses yeux qui ne voient le Palais et les avocats qu’à travers le journal, les grands avocats, les seuls avocats sont ceux du criminel. La faute en est un peu au public lui-même, à ses goûts : les journaux lui donnent ce qu’ils pensent pouvoir lui plaire. Il est ainsi arrivé que des hommes comme Lente, comme Henri Barboux, que le Palais tient pour les maîtres du Barreau, risqueraient de demeurer inconnus au dehors, si l’occasion ne se présentait pas pour eux d’une de ces causes qui, précisément, retentissent au dehors et dont parlent les journaux.

Sauf cette réserve et la privation d’une constante publicité, les avocats civils auraient tort de se plaindre du XIXe siècle. Il les a comblés. Presque dès son début, suivant de près l’essor de la bourgeoisie, il a produit ce mouvement extraordinaire de l’industrie, du commerce, de la richesse, puis des moyens de transport et de communication, qui a changé le monde. Or tout changement économique crée des rapports nouveaux entre les hommes ; ces rapports doivent être réglés suivant le droit ; l’office de l’avocat est aussitôt nécessaire, soit pour élaborer ce droit nouveau, soit pour intervenir dans les conflits qui mettent aux prises des intérêts contraires. Du jour où les entreprises industrielles et commerciales, brusquement élargies, exigèrent pour vivre d’amples ressources, les capitaux durent se grouper en sociétés, qui, même, une fois constituées, empruntaient des capitaux encore. La part sociale, ou action, le titre de créance du prêteur ou obligation donnaient à la richesse la forme mobilière. De là vint un flot intarissable d’affaires, procès de sociétés, procès relatifs aux valeurs de Bourse. L’invention des chemins de fer ne fut pas moins féconde ; depuis l’expropriation des terrains où leurs lignes s’établissent, jusqu’aux responsabilités des accidens qu’ils causent aux voyageurs, ils touchent sans cesse à quelque intérêt : le droit est en jeu et requiert le ministère de l’avocat. Ces exemples se sont multipliés comme à l’infini. Ce qui est vrai d’ailleurs des phénomènes économiques ne l’est pas moins dans l’ordre moral. Le XIXe siècle a vu des crises qui semblaient ébranler jusqu’au fond la morale traditionnelle : la plus violente, celle du romantisme, en exaltant l’individu et son droit au bonheur, accrut les troubles domestiques, poussa aux procès de séparation ; avec le divorce, ce fut plus qu’un