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Qu’est ce donc que le Barreau ? Ce qui le constitue, c’est un privilège et ce sont des règles professionnelles.

Privilège est un mot qui sonne mal aux oreilles de nos contemporains. Il ne faut pas ici s’en tenir au mot. Ce privilège consiste seulement en ce que l’Ordre confère, par l’inscription à son tableau, le titre d’avocat à la Cour, au Tribunal, avec les droits qui lui sont attachés. En ce sens on dit couramment : l’Ordre est maître de son tableau. Ce n’est point exact. Les conditions de l’admission sont réduites à la plus modeste exigence : capacité, moralité, indépendance ; la capacité prouvée par le diplôme de licencié en droit, la moralité d’un honnête homme attestée par une rapide enquête, l’indépendance résultant de ce que le candidat n’exerce aucune fonction incompatible avec celle d’avocat. Dès lors que ces trois conditions sont réunies, les portes s’ouvrent d’elles-mêmes ; et l’Ordre n’est donc maître de son tableau que pour en refuser l’accès à ceux qui apparaîtraient incapables, malhonnêtes, dépendans ; sa souveraineté est toute relative. Elle l’est plus encore qu’on ne croirait : d’un refus d’admission au tableau, le candidat peut appeler devant la Cour d’appel, qui imposera l’inscription si, par impossible, le refus n’était pas fondé sur des raisons décisives. Le Barreau a longuement lutté contre ce recours à la juridiction d’appel qui le réduisait à un office de contrôle : il a dû s’incliner devant une jurisprudence dont les décisions, depuis plus de quarante ans, sont formelles. Voilà donc ce qu’il faut entendre par son privilège.

Quant à celui des avocats eux-mêmes, il est encore plus restreint. Cependant, leur monopole ? le monopole de plaider devant toutes les Cours, devant tous les tribunaux, au civil, au criminel ? Ce monopole n’existe pas. Nulle part, il n’est écrit que seuls, à l’exclusion de tous autres, les avocats pourront plaider. Toute partie a le droit de plaider elle-même sa cause : Brunetière plaida lui-même la question du droit de réponse, et, en matière criminelle, un ami, un parent de l’accusé a été maintes fois admis à le défendre : Victor Hugo assista son fils aux assises ; M. Clemenceau, Émile Zola. Il faut sans doute une autorisation, mais qui n’est jamais refusée, si la personne qui veut plaider ne risque pas de compromettre l’affaire. Ce qui est vrai pour l’avocat, c’est qu’en vertu de son inscription au tableau ou même au stage, il peut se présenter sans autorisation à toutes les audiences ; c’est aussi et surtout qu’il se trouve désigné, par