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tous et qu’elles étaient animées d’un entrain, d’une vivacité, d’un esprit qui les faisaient délicieuses ; ils se plaignent que les jeunes avocats passent au Palais et n’y causent plus. Il est sûr qu’on y cause moins. On ne se dérange pour y venir que si l’on est à peu près certain de plaider, si l’on a besoin d’y rencontrer confrères, avoués, hommes d’affaires ; et on ne flâne plus que par nécessité. Mais les entretiens n’ont rien perdu de leur charme, ni de leur liberté. Les esprits les plus divers s’y rencontrent ; on parle de tout, et tous les avis s’expriment. Ce qui est remarquable, c’est que sur toutes les questions professionnelles, une opinion moyenne se forme presque toujours et finit par s’imposer.

À l’entrée de ce nouveau siècle d’existence, le Barreau peut donc à la fois se rappeler sa vigueur ancienne et constater sa parfaite vitalité. L’expérience de la Révolution fut décisive : dès lors que l’office du défenseur est indispensable au plaideur, il est indispensable aussi, pour les magistrats comme pour les justiciables, que les défenseurs présentent des garanties ; la corporation, et cette corporation spéciale qu’est le Barreau, peut seule les assurer. Les défenseurs les offraient avant 1790, quand ils étaient constitués en Ordre d’avocats ; ils les ont perdues quand l’Ordre a disparu ; ils les ont retrouvées quand il fut rétabli, et, depuis, elles n’ont fait que s’accroître. On a proposé de supprimer, comme en 1790, le Barreau. La mesure serait moins dangereuse aujourd’hui, puisque le droit d’association permettrait aux avocats de s’associer aussitôt ; et elle serait même à peu près inutile aux modernes « hommes de loi » que l’on voudrait ainsi favoriser aux dépens du Barreau. Ce qui fait toute la force de l’Ordre, c’est en effet sa nécessité. Aucune loi ne prévaut contre une telle puissance, celle des faits et de l’expérience plusieurs fois centenaire. L’Ordre des avocats existe non pas seulement en vertu du décret de 1810, mais parce qu’une justice régulière ne peut se passer de la capacité, de la moralité et de l’indépendance qu’il exige et qu’il maintient parmi tous ses membres. C’est pourquoi il fut rétabli par Napoléon Ier, pourquoi il a vécu tout ce siècle, et pourquoi il vivra tant que le souci d’une bonne justice sera considéré dans ce pays comme un des plus salutaires à la vie sociale.


LOUIS DELZONS.